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21/04/2020

Michel de Montaigne (1533 - 1592) et sa tour en son château

Michel de Montaigne, Saint-Michel-de-Montaigne (24), Les Essais

Collection Lagarde et Michard, XVIème Siècle, Bordas

 

       Pourquoi, au cœur d'un confinement qui n’en finit pas, me retourner vers un auteur vieux de plus de quatre siècles, dont on peut se demander s'il est encore lu, si ce n’est par quelques universitaires et leurs étudiants ? 

Montaigne est un de mes auteurs familiers. Je l’ai approché dès le lycée quand on étudiait encore les écrivains selon une intelligente chronologie qui nous faisait comprendre les évolutions littéraires dans leur contexte historique. A l’Université aussi je l’ai côtoyé car il figurait au programme d’un concours de recrutement de professeurs de l’Éducation nationale et que j’eus la chance de traiter ce beau sujet « Montaigne et la politique » pour une des épreuves orales en 1973.

Comme j’ai la reconnaissance inscrite en moi, une visite de remerciement au château de Montaigne s’imposait après ma réussite à ce concours. C’est ainsi que je me rendis en août 1975 à Saint-Michel-de-Montaigne en Dordogne en compagnie d’un ami proche, et qui l’est toujours, pour visiter la tour où l’écrivain avait installé sa bibliothèque et où il rédigea ses Essais sous des solives où il avait fait peindre des citations en grec, latin et français, toutes langues qu’il pratiquait avec l’italien…

 

Michel de Montaigne, Saint-Michel-de-Montaigne (24), Les Essais

Collection Lagarde et Michard, XVIème Siècle, Bordas

 

La récente lecture des excellents ouvrages de Jean-Michel Delacomptée « Et qu’un seul soit l’ami, La Boetie » (Gallimard 1995) et « Adieu Montaigne » (Fayard, 2015), m’a permis de réaliser combien cet auteur du XVIème siècle avait compté pour moi.

Il est impossible de résumer en quelques lignes la pensée ondoyante de Montaigne et les 800 pages  (environ) que comptent "Les Essais". Pourquoi prend-il la plume ? Oisif en son château après avoir été magistrat, Montaigne sent que son esprit fait le cheval échappé*, bat la campagne et enfante** "tant de chimères et monstres fantasques les uns sur les autres, sans ordre et sans propos" I, 28. Il prend alors le parti de "mettre en rôle" ses rêveries afin de voir plus clair en lui-même.

Montaigne a abordé maints sujets le concernant et nous concernant donc tous. L'amitié quand il relate sa rencontre avec Etienne de La Boëtie. La religion, la politique, l'éducation des enfants, la famille, les Cannibales (peuple du Brésil récemment découvert)...

Il ne passa pas pourtant toute sa vie à se scruter, il fut magistrat, maire de Bordeaux, il côtoya le futur Henri IV et approcha plusieurs rois de France et hauts dignitaires. Il nous met cependant en garde :

« La plupart de nos vacations (occupations) sont farcesques. Mundus universus exercet histrionam (Le monde entier joue la comédie, Pétrone). Il faut jouer dûment notre rôle, mais comme un rôle d’un personnage emprunté. Du masque et de l’apparence il n’en faut pas faire une essence réelle, ni de l’étranger le propre. » Les Essais, III, 10

Montaigne nous recommande de rester nous-mêmes sans confondre l’être et le paraître. Belle leçon de modestie et de distance vis à vis de nos entreprises. 

A une époque où régnait en France une violence extrême entre catholiques et protestants, il prôna la tolérance, tentant de concilier les camps opposés, reconnaissant les qualités et les défauts des uns et des autres mais condamnant les extrémistes et les doctrinaires. D’autres dangers que les guerres menaçaient Montaigne et ses concitoyens, telles les épidémies de peste qui décimaient régulièrement la France. Il dut quitter Bordeaux précipitamment à l’été 1585 pour se réfugier avec sa famille sur ses terres qui ne furent pas épargnées. Il écrit pourtant : « Pour moi donc j’aime la vie » III, 13.

Montaigne est une borne importante dans l'évolution de la pensée française. Il écrit un des premiers en français et non plus en latin. Homme de la Renaissance, féru de l'histoire et de la philosophie des anciens Grecs et des Romains, il s'affirme en tant qu'individu dans une époque où le groupe (religieux, familial, social...) primait. Il est le point de départ d’une expression du Moi  qui ne cessera plus de se renforcer jusqu’à notre époque où elle connaît, il faut bien le reconnaître, certains excès.

* Expression empruntée au Lagarde et Michard du XVIème siècle page 195.

** In "Adieu Montaigne" page 111.

 

 

 

 

 

 

 

11/04/2020

Manosque et Jean Giono (1895 - 1970)

Giono, Manosque

La maison de Jean Giono à Manosque : Le Paraïs

Photo du Centre Jean Giono, Manosque

 

Jean Giono est né à Manosque et y a passé toute sa vie, à l'exception notable des années 1914 à 1919 durant lesquelles il a participé à la Première guerre mondiale. Il a pu acheter Le Paraïs dans les années 1920 avec ses premiers droits d'auteur et y a vécu en famille jusqu'à sa mort. Jean Giono possédait également quelques bâtiments de ferme à Contadour sur le flanc sud de la Montagne de Lure, massif qui domine le nord-ouest des Alpes-de-Haute-Provence. Il y organisa les Rencontres du Contadour dans les années 1930. Le déclenchement de la Seconde guerre mondiale mit fin en 1939 à ces rencontres dont le pacifisme était une des clés. Giono fut très fortement marqué par les horreurs qu'il vécut durant la Première guerre au milieu de tant d'autres soldats. Il reviendra de ce conflit marqué à jamais. Son souhait le plus profond étant qu'un tel désastre ne se reproduise pas. Il fut d'ailleurs confronté à la Justice au moment de la mobilisation en 1939, en raison de son pacifisme, et à l'occasion de la Libération de 1944, en raison de son attitude jugée par certains trop compréhensive vis à vis des occupants allemands. Il subit alors largement la vindicte des résistants de la dernière heure et son séjour de quelques mois dans une prison de Marseille le protégea d'actes malveillants de la part de ses détracteurs. Jean Giono a certainement manqué de prudence pendant l'occupation mais les motivations de ses détracteurs ne furent pas toujours aussi pures que ces derniers le prétendaient. Jean Giono avait gagné pas mal d'argent avec ses publications et certains en étaient fort jaloux... N'oublions pas que Manosque était alors une toute petite ville sujette comme les autres aux rancœurs macérées.

 

 

Bureau de Giono 3.jpg

 

 

Giono, Manosque, bureau

Le bureau de Jean Giono, Le Paraïs, Manosque

Photos de l'association Les amis de Jean Giono

 

Le Paraïs se visite. La propriété a été achetée par la municipalité de Manosque en 2018. Lors de mon passage en 2007, la pièce la plus attachante fut pour moi le bureau de Giono. Il semble être demeuré tel que l'écrivain le laissa à sa mort en 1970. Les feuillets manuscrits sont là avec les cahiers et les carnets de notes, les pipes et les crayons. On s'attendrait à voir entrer Giono qui irait s'asseoir à cette table... 

Parmi les œuvres de Giono, on parle beaucoup en ces temps de confinement du Hussard sur le toit (1951) qui se déroule par temps d'épidémie de choléra à Manosque et en Provence vers 1832. Je recommande aussi Un roi sans divertissement (1948)  dont le titre vient d'une Pensée de Pascal. Toute l'oeuvre est à lire avec Regain, Colline... Humanisme, respect de la nature, grandeur des paysages. 

En cette année 2020, le centre Jean Giono de Manosque célèbre les 50 ans de la mort de l'écrivain.

http://centrejeangiono.com/giono-2020/

Avec le lien ci-dessus vous pourrez accéder au programme.

 

 

11:11 Écrit par Jean Julien dans Écouter, regarder, écrire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : giono, manosque, le paraïs |

04/04/2020

François-René de Chateaubriand (1768 - 1848) Combourg et La vallée aux loups

Chateaubriand, Combourg, château

Le château de Combourg (Ille-et-Vilaine)

C'est dans ce château aux allures médiévales que François-René de Chateaubriand,  né à Saint-Malo, passa une partie de son enfance dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Combourg se situe à environ 40 km au sud-est de Saint-Malo. Le château a été très remanié au XIXème siècle, surtout dans son aménagement intérieur, après avoir été abandonné à partir de la Révolution et durant près de 80 ans. La chambre de Chateaubriand se trouve toujours dans un des donjons et on peut la visiter comme le reste du bâtiment. Dans Les Mémoires d'Outre-Tombe, Chateaubriand évoque cette pièce :

"La fenêtre de mon donjon s'ouvrait sur la cour intérieure ; le jour, j'avais en perspective les créneaux de la courtine opposée, où végétaient des scolopendres* et croissait un prunier sauvage. Quelques martinets qui, durant l'été, s'enfonçaient en criant dans les trous des murs, étaient mes seuls compagnons. La nuit, je n'apercevais qu'un petit morceau du ciel et quelques étoiles. Lorsque la lune brillait et qu'elle s'abaissait à l'occident, j'en étais averti par ses rayons, qui venaient à mon lit au travers des carreaux losangés de la fenêtre. Des chouettes, voletant d'une tour à l'autre, passant et repassant entre la lune et moi, dessinaient sur mes rideaux l'ombre mobile de leurs ailes. Relégué dans l'endroit les plus désert, à l'ouverture des galeries, je ne perdais pas un murmure des ténèbres. Quelquefois, le vent semblait courir à pas légers ; quelquefois il laissait échapper des plaintes ; tout à coup, ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussaient des mugissement, puis ces bruits expiraient pour recommencer encore. A quatre heures du matin, la voix du maître du château, appelant le valet de chambre à l'entrée des voûtes séculaires, se faisait entendre comme la voix du dernier fantôme de la nuit. Cette voix remplaçait pour moi la douce harmonie au son de laquelle le père de Montaigne éveillait son fils."

* genre de mille pattes

Mémoires d’Outre-tombe, Livre III, chapitre 4.

Chateaubriand commença la rédaction des Mémoires dans sa résidence de La Vallée aux loups vers 1810. Cette demeure se trouve sur la commune de Chatenay-Malabry au sud de Paris. Elle appartient désormais au Département des Hauts-de-Seine et se visite ainsi que son parc. 

 

1 Maison de Chateaubriand Vallée aux loups Chatenay-Malabry.JPG

La Vallée aux loups, Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine)

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Les rhododendrons et la demeure

 

"Il y a quatre ans qu'à mon retour de la Terre Sainte, j'achetai près du hameau d'Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Malabry, une maison de jardinier, cachée parmi les collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison n'était qu'un verger sauvage au bout duquel se trouvait une ravine et un taillis de châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues espérances : spatio brevi spem longam reseces*. Les arbres que j'y ai plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de l'ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protégeront mes vieux ans comme j'ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisis autant que je l'ai pu des divers climats où j'ai erré, ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon cœur d'autres illusions."

*"Cueille le jour [et sois] la moins curieuse [possible] de l'avenir". Vers d'Horace (Premier siècle avant JC)

Les Mémoires d'Outre-Tombe, Livre premier

 

Chateaubriand, Vallée aux loups, Chatenay-Malabry (92)

Intérieur de la maison de Chateaubriand

Photographie de Frédéric Bellay / Galerie Le Réverbère (2018)