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31/03/2012

Kotoko au mariage du Mogho Naba

 

Kotoko n’en croit pas ses yeux. Ses deux petits yeux qui dépassent à peine du sac dans lequel Wango l’a caché pour qu’il puisse assister au mariage du Mogho Naba, le roi des Mossis.

Le Mogho Naba n’est plus tout jeune. Ses cheveux blancs et sa barbe de la même couleur montrent qu’il a vécu bien des années. Son grand boubou rouge lui donne une très belle allure. Dans sa main droite il tient fermement le bâton du pouvoir, celui qui montre à tous les Mossis qu’il est le chef et que personne ne peut le contredire. 

 

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Le Mogho Naba en tenue d'apparat

 

Près du roi, deux enfants dansent pour accueillir la nouvelle et jeune femme du roi. Elle arrive, parée de ses plus beaux bijoux et de sa plus jolie robe. Deux flèches dans sa main droite, piques tournées vers le sol, montrent à toute la cour qu’elle apporte la paix. Les guerres entre sa famille et celle du Mogho Naba sont terminées. Désormais l’entente règnera entres les deux clans.

 

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La marièe

 

Les scènes de violence auxquelles le Mogho Naba rêve encore ne sont plus qu’un mauvais souvenir…

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Le Mogho Naba rêve des guerres passées

 

Kotoko n’aurait jamais compris tout cela si Wango, qui connaît parfaitement l’histoire des Mossis, ne le lui avait pas expliqué. Kotoko a fort envie de se dégourdir les pattes et de sortir de son sac. Mais aussitôt qu’il remue un peu trop, Wango lui montre le crocodile qu’un jeune page apporte en cadeau au roi. Et Kotoko a peur de se faire dévorer par cet animal vorace.   

 

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L'enfant au crocodile

 

Wango veille sur Kotoko comme sait le faire un bon père de famille. Pour épargner à notre hérisson un trop long séjour dans le sac de toile où il commence à avoir très chaud, Wango décide de rentrer à Ouagadougou. Voici nos deux amis installés sur la charrette que tire l’âne appelé « L’âne ». Le soleil frappe si durement la piste poussiéreuse qu'après quelques kilomètres, les deux passagers s’endorment. Heureusement que « L’âne » connaît la route et conduit la charrette vers Ouagadougou sans trop s’arrêter. Cependant et comme son maître fait la sieste, "L'âne" en profite pour brouter, de temps en temps, une bonne touffe d’herbe qui lui rafraîchit l’estomac.

C’est ainsi que Kotoko se retrouve dans la capitale du Burkina-Faso et va pouvoir reprendre son voyage vers le Ghana.

 

Photographies (détails) de la tapisserie de Roger Bezombes, résidence Lucien Paye, Cité universitaire internationale, Paris

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24/03/2012

La marquise au concert

Les Rochers le 20 juin 1681

 

Ma toute bonne,

Ma tête serait-elle en bois de cornouiller ? Cet arbre si dur que certains n’hésitent pas à le comparer à la corne des animaux. J’ai parfois le sentiment que rien ne rentre plus dans ma cervelle. Qu’elle perd cette perméabilité qui la faisait ressembler à une éponge… Dimanche dernier, il m’était en effet complètement sorti de l’esprit que le marquis Coudé du Foresto m’avait convié, après les vêpres,  à un récital de musique donné par de ses amis musiciens. C’est pendant l’office célébré entre nones* et complies**, alors que, il me faut l’avouer, je somnolais quelque peu, emportée par la douce torpeur d’une chaude après-midi et d’une digestion ralentie par la bonne chère du déjeuner, que par miracle l’aimable invitation de mon voisin de marquis surgit de ma rêverie.

Je fis un petit signe à l’abbé pour qu’il accélérât le rituel, ce qu’il fit de bonne grâce ayant fort envie de faire mérienne***, comme le disent si plaisamment  mes bons paysans dans leur patois. Je fis prestement atteler ma jument Nyctalope et me rendit en petit équipage au château du Foresto. De loin  j’entendais la musique qui sortait par les fenêtres ouvertes du grand salon. Coudé du Foresto ne s’était point moqué de ses invités. Je savais qu’il avait récemment accru sa fortune en réalisant quelques bonnes affaires dans les toiles de Mayenne, mais pas au point de convier en sa demeure Monsieur de Lully dont vous savez qu’il vient d’être nommé secrétaire du roi. Je me glissai sans bruit vers une bergère laissée vide par ces dames et me laissai aller au flot de notes que l’orchestre dispensait généreusement. La musique de Monsieur de Lully n’est pas maigre. Elle est riche de mille sons bien mélangés et alignés sur les rythmes des plus entraînants. Ma somnolence était oubliée et le bois de cornouiller de ma cervelle dispersé aux quatre vents.

Lully animait vivement sa formation de musiciens avec son bâton de direction, célèbre depuis qu’au cours d’une répétition à Versailles, il s’en était asséné un coup violent sur un pied. Ses cris de douleur avaient interrompu les musiciens et notre homme dut s’en remettre aux médecins qui lui appliquèrent un emplâtre de farine d’orge mêlée de miel rosat et de myrrhe pour désinfecter la plaie et puis des décoctions de plantes pour favoriser la cicatrisation… Lully semblait avoir oublié  ce pénible épisode car il maniait son bâton avec une énergie surprenante. Cette canne surmontée de rubans et d’un pommeau orné rythmait le flot de notes qui sinon serait sorti en ordre dispersé des différents instruments. Nous eûmes les plus beaux passages d’Atys****, l’opéra que notre roi affectionne tout particulièrement.

« Je veux joindre en ces lieux la gloire et l’abondance » entend-t-on au début du deuxième acte. Que cette phrase ait plu au roi soleil n’est pas étonnant. Madame de Maintenon (il me démange d’écrire « la Maintenant » tant cette bigote me hérisse le poil !) en a pris ombrage. Comment peut-on jalouser l’affection que porte sa majesté pour cet opéra ? Elle reproche à son époux (je puis bien employer ce mot car leur mariage, tout secret qu’il est,  est de notoriété publique, du moins chez les personnes bien introduites)… Je m’égare. Ma cervelle est vraiment décornouillée et a retrouvé sa vivacité, Dieu merci.  La Maintenon en veut à son roi de mari de trop s’intéresser à ces spectacles qui ne seraient plus de son âge. Elle n’entend rien à cette musique. Pas la moindre longueur dans Atys. Tout y est perfection : quoi de plus charmant que le duo des amants lorsque leurs voix s’enlacent ?

Monsieur de Lully frappa le plancher pour marquer la fin du concert. Il rayonnait sous sa grande perruque bouclée et semblait transpirer très fort sous ses habits chamoirés. Quand je pense que cet Italien a débuté aux cuisines de la Montpensier où il récurait les casseroles, je me dis que son génie doit être bien grand pour lui permettre de passer du potager (x) brûlant aux salons de Versailles. Je sais par des indiscrétions que sa majesté est quelque peu contrariée par les mœurs italiennes de son grand musicien. Ce dernier sait cependant se faire discret et retrouve ses conquêtes masculines au fond des forêts de Sèvres où il dispose d’un petit relais de chasse.

Coudé du Foresto vint me saluer dès les dernières notes émises et alors même que ses convives applaudissaient à tout rompre, ce qui n’est guère habituel chez les nobliaux de province fort réservés dans l’expression de leurs sentiments. Ce pauvre marquis, bien qu’il fût riche, est, il faut le reconnaître, affublé d’un nom qui prête à sourire. D’autant que l’homme n’est pas très bien fait. Quand on prononce son patronyme, je perçois un léger frémissement sur le visage des dames. Et un sourire narquois sur les lèvres des messieurs. Nos pensées ne sont pas toujours aussi vertueuses que le souhaiterait la religion. Et j’ai souvent entendu quelque plaisantin murmurer : « Le marquis serait-il coudé du foresto pour avoir si triste mine ? ». Je ne m’aventurerai pas plus loin. L’honnêteté et la décence me l’interdisent. Une petite plaisanterie de temps en temps n’a pourtant tué personne.

Je reviendrai vers vous dès que possible. Vous devez vous demander où donc est passé mon cher La Ventière. Ne vous alarmez pas, il est toujours de ce monde. Mais à son habitude, par monts et par vaux au service du roi. Il est à présent de l’autre côté de la Méditerranée et dès son retour, qui ne saurait tarder, je me ferai l’écho de ses récits.

Je vous embrasse comme je vous aime, de tout mon cœur.

 

 

*3 heures de l’après-midi

 

**dernière partie de l’office

 

***faire la sieste en gallo

 

****opéra de Lully, 1676

 

(x) cuisinière

 

16:18 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lully, atys, opéra |

19/03/2012

Kotoko au pays du Mogho Naba

Kotoko rêve au bord du fleuve Sénégal dont l’eau boueuse s’écoule lentement. Elle caresse la berge et laisse derrière elle un petit chuintement, celui de son passage. Le frottement de l’eau et de la terre, le petit bruit des mottes d’argile qui glissent dans l’onde et se dissolvent. Kotoko entend tout. Le battement d’ailes des libellules qui effleurent à peine la surface du fleuve. Le moteur poussif du bac qui traverse régulièrement le cours d’eau en aval. Les chameaux qui déblatèrent. Et les chiens qui aboient sans fin et sans raison. Il pourrait rester des heures à écouter ces bruits, les yeux fermés pour mieux se concentrer.

Il suffit qu’une bonne odeur d’igname bouilli vienne lui lécher les narines pour que Kotoko sorte de sa rêverie et se décide à reprendre son chemin vers son Ghana natal. Il doit maintenant traverser le Sénégal, le Mali et le Burkina-Faso avant de rallier la frontière ghanéenne. Il pourrait remonter le fleuve sur une pirogue mais le courant est très fort et ralentirait son voyage. Il pourrait prendre le train fatigué qui rallie Dakar à Bamako à très petite vitesse. Mais il est impatient de retrouver son pays. Ce seront donc les taxis-brousse et les autocars qui le transporteront.

De ce voyage, Kotoko décide de ne retenir que les noms des villes ou des villages dans lesquels il effectue une halte.  Une fois qu’il a franchi le fleuve Sénégal sur une pirogue, Kotoko se retrouve dans le pays du même nom, le Sénégal. Il retient le nom du village de Kidira où il grignote quelques grosses araignées. Puis c’est le Mali : Diéma, Bamako où il franchit le fleuve Niger sur un pont immense. Ségou, puis San où il va se désaltérer au bord du Bani.

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        San, Mali, la mosquée en terre

Au bord de la rivière Bani, affluent du Niger

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Kotoko dort ensuite très longtemps. La route est longue, il fait très chaud. Il se réveille au Burkina-Faso et très exactement à Bobo-Dioulasso, la ville aux mille manguiers. Kotoko déguste des mangues bien fraîches à peine tombées de l’arbre. Arrivé à Ouagadougou, il décide de faire une halte chez ses amis burkinabés : Ramata et Wango. Il retrouve Ramata au marché où elle vend des légumes. Wango, son mari, vient la rejoindre avec la charrette que tire l’âne qui n’a pas de nom. On l’appelle « l’âne », c'est ainsi. Pour gagner la maison, Kotoko s’installe aux côtés de Wango qui lui explique qu’il va partir à la cour du roi Mogho Naba où il doit assister au mariage de son altesse royale et de sa nouvelle et jolie jeune femme.

-        Puis-je t’accompagner, mon cher Wango ? Je serai discret. Tu n’as rien à craindre.

-        Toi, le hérisson à la cour du Mogho Naba !  Tu rêves.

-        Tu me glisseras dans un sac dont seuls mes yeux dépasseront. Personne ne me verra !

-        Soit, répond Wango. Mais si tu sors du sac, je te donne à manger aux crocodiles du roi ! Ils sont toujours affamés.

Sur cette mise en garde, nos deux compères prennent la route et rejoignent rapidement le palais du Mogho Naba où la fête organisée à l’occasion du mariage bat déjà son plein.

 

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Le Mogho Naba, tapisserie de Roger Bezombes, résidence Lucien Paye, Cité universitaire internationale, Paris 

Kotoko s'émerveille devant les fastes de la cour du roi. Il fera le récit de ces noces royales dans une très prochaine histoire. Patience, les enfants !