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02/02/2013

L'homme aux fourmis

La nuit est profonde. La lune n’est pas encore levée et c’est à travers une obscurité d’encre noire que l’homme essaie de se diriger. Il a oublié sa lampe de poche et son briquet qui auraient pu lui procurer un peu de lumière. Il est trop tard, il ne veut plus faire demi-tour et rentrer chez lui pour récupérer une source de lumière. Il se dit qu’il connaît le campus de Mount Mary comme sa poche. Il l’a sillonné depuis des années et en a pratiqué tous les sentiers. Toutefois cette nuit est étrange. Le campus est plongé dans le noir, privé d’électricité depuis que le transformateur a brûlé et que le groupe électrogène est à cours de gasoil.

Bien que le soleil se soit couché vers 18h30, comme tous les jours sous les tropiques, l’atmosphère est immobile et brûlante, l’air et le sol ayant été chauffés à blanc toute la journée. L’herbe est si sèche qu’elle craque sous les pieds. Les arbres crépitent comme si leur sève bouillait.

L’homme poursuit son chemin dans la nuit vers la villa où ses amis l’attendent. Il finit par apercevoir les fenêtres éclairées de la maison où il doit dîner. Quelques bougies et lampes à pétrole éclairent l’intérieur et répandent quelque clarté aux alentours. C’est alors que l’homme ressent une étrange impression au niveau de ses mollets, juste au-dessus de ses chaussettes. Par précaution, il n’utilise jamais de nu-pieds quand il sort de chez lui. Serpents et scorpions sont nombreux dans la région de Somanya et il vaut mieux s’en protéger. L’homme sent de petits pincements sur sa peau, comme de légères morsures. Il se dit qu’il a été piqué par des moustiques cet après-midi et que la démangeaison revient après quelques heures de répit. Mais plus il approche de chez ses amis et plus les morsures se multiplient sur ses deux mollets. Il ne prend pas le temps de frapper à la porte d’entrée  et se précipite dans la villa, il n’y tient plus. Ses jambes sont assaillies par mille piqûres incessantes.

-          Ouille, ouille, ouille ! crie l’homme sous le regard incrédule de ses amis. Aïe ! Aïe ! Mais que m’arrive-t-il ? Je n’en peux plus.

Ses amis n’ont pas le temps de lui répondre qu’à leur grande stupeur, l’homme baisse son pantalon et le laisse tomber sur ses chaussures. Et il commence à se gratter les jambes avec frénésie. Contrairement à ce qu’il pensait, la douleur  ne vient pas de piqûres de moustiques. L’homme découvre avec stupeur que ses jambes sont couvertes de grosses fourmis qui s’accrochent à sa peau en fermant leurs mandibules.

-          Ce sont des magnans, Claude, des fourmis magnans, crie Kodjo,  un des invités déjà installé dans un fauteuil un verre de whisky à la main. Elles forment dans la brousse des colonnes larges de 40 ou 50 centimètres. Ces colonnes peuvent s’étirer sur 200 ou 300 mètres… Tu as marché sur une colonne dans l’obscurité, sans t’en rendre compte !

 

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Fourmi magnan (cliché Alex Wide)

 

-          Aïe ! Ouille ! crie Claude, l’homme aux fourmis. Tu es bien gentil Kodjo avec ton cours de sciences naturelles mais tu ferais mieux de m’aider au lieu de pérorer.

-          J’arrive. On va t'aider à décrocher toutes ces bonnes fourmis ouvrières qui ont cru que tu étais bon à dévorer, comme n'importe quelle proie ! Tu leur as marché dessus et il ne leur a fallu qu’un instant aux pour grimper le long de tes mollets !

-          Ces bestioles s’accrochent à ma peau avec leurs mandibules. Cela fait très mal. On dirait des pinces en acier !

-          Tu ne crois pas si bien dire. En médecine traditionnelle, on les utilise pour suturer les petites plaies, explique Kodjo.  Les fourmis ferment leurs mandibules sur les deux côtés de la blessure et s’immobilisent ainsi comme si elles avaient enserré une proie. Elles meurent mais ne desserrent pas leur étreinte, favorisant ainsi la cicatrisation de la plaie…

-          Tu m’en vois ravi, cher Kodjo. En attendant  cela me démange…

-          Allez, prends un verre avec nous, Claude,  et tu oublieras vite cet épisode. On vit en brousse et tu sais comme moi que les insectes y pullulent. Quand l’électricité reviendra, tout ira mieux.

-          Tu as raison et demain dès l’aube, je pars à Tema au siège régional de la Ghana electricity corporation pour qu’on nous change enfin le transformateur défectueux. Tu m’accompagneras Kodjo, s’il te plaît. Tu as des amis là-bas.

-          Oui, patron !

-          Ne m’appelle pas patron. Nous sommes collègues Kodjo. Nous enseignons tous les deux sur ce campus.

-          Oui patron ! s’exclame Kodjo dans un grand éclat de rire.

-          Tu me feras enrager, lui répond Claude en riant.

Pendant ce temps, la colonne de fourmis que Claude a croisée poursuit sa lente progression dans la brousse à la recherche de nourriture, indifférente à la nuit et à la chaleur. Que fait donc Kotoko ? Pourquoi n’est-il pas venu au secours de l’homme attaqué par les fourmis ? C’est que notre hérisson du Ghana est en voyage… Il ne peut pas être partout !