23/09/2012
“Oh! My brothers! You killed my small little this thing…”
Je reprends les aventures de Kotoko, le hérisson du Ghana, en compagnie de son ami le gecko Vieux Charlie. Les parents jugeront par eux-mêmes de l'opportunité de lire cette histoire à leurs enfants. Il y a en effet mort de poulet...
Kotoko et Vieux Charlie ont décidé de quitter Tema pour se rendre à Akosombo sur le fleuve Volta. Ils souhaitent revoir le grand barrage construit voici quelques décennies et qui fournit de l’électricité à tout le sud du Ghana de manière un peu capricieuse : il faut arrêter la production quand la réserve d’eau est insuffisante ou qu’une vieille turbine tombe en panne. A bord de la Suzuki qui n’a pas d’âge, nos deux amis empruntent la « Tema-Jasikan road » qui file vers le nord du Ghana à travers la « Eastern region » en longeant la réserve d’animaux des Shaï Hills. Tout à coup, ils aperçoivent une famille de singes installée au bord de la route. Les petits observent les voitures et les camions qui passent sous la surveillance des parents.
Des singes de la réserve de Shaï Hills, Ghana
Les voyageurs poursuivent leur route quelque peu monotone car elle est tracée au cordeau, toute droite au milieu de la savane. Quelques vendeuses de tomates sont installées çà et là sur le bas-côté et ravitaillent les conducteurs qui rejoignent leurs familles en ville.
Soudain Vieux Charlie qui tient le volant freine énergiquement. Kotoko, qui s’était un peu assoupi, se réveille :
- Que se passe-t-il Vieux Charlie ? Un de nos pneus aurait-il crevé ?
- Non, nos pneus sont intacts, heureusement. Regarde devant toi au lieu de baisser les yeux et tu vas pouvoir admirer un spectacle étonnant ! répond Vieux Charlie.
Devant la voiture, un serpent traverse la route avec une lenteur étonnante. Il faut dire que nos amis ne voient que son tronc : la tête de l’animal a déjà rejoint les buissons de la brousse à gauche de la route alors que sa queue est toujours à droite de la chaussée…
- Un python ! crie Kotoko qui s’y connait en serpents. Il mesure bien 5 ou 6 mètres ! Imagine Vieux Charlie la force qu’il peut avoir quand il étouffe une proie…
- Oui, il doit est très puissant. Un petit gecko comme moi ne ferait pas le poids contre un tel animal. Il m’écraserait comme une allumette !
- Tu as bien fait de t’arrêter pour le laisser passer. Le python n’est pas dangereux pour nous dans la voiture. C’est seulement lorsqu’il a faim qu’il cherche une proie.
Lorsque la queue du python gagne la gauche de la route, Vieux Charlie redémarre le moteur de la Suzuki qu’il avait éteint pour économiser un peu d’essence et ils reprennent leur voyage. En traversant un petit village installé le long de la chaussée, Kotoko et Vieux Charlie entendent le bruit d’un choc à l’avant du véhicule. Notre gecko conduit prudemment et a beaucoup ralenti en entrant dans le village sachant que de nombreux enfants y vivent et peuvent imprudemment traverser la route.
- Que se passe-t-il ? demanda Kotoko. On dirait que le moteur fume...
A peine a-t-il prononcé ces mots qu’ils entendent crier :
- “Oh! My brothers! You killed my small little this thing… Oh! My brothers! You killed my small little this thing…”
Un vieil homme se tient au bord de la route : il a les deux mains jointes sur la tête et semble très affecté.
- Que se passe-t-il « granpa » ? demande Kotoko au vieillard qui continue à geindre.
- “Oh! My brothers! You killed my small little this thing…” répète-t-il comme si un événement grave avait eu lieu.
Bien qu’ils comprennent l’anglais approximatif du vieillard, nos amis ne saisissent pas la cause de sa détresse. Le moteur fume toujours. Ils examinent la calandre de la Suzuki et aperçoivent quelques plumes collées sur le plastique. Ils ouvrent le capot et constatent que c’est le radiateur qui fume. En s’approchant encore plus près, ils voient qu’un objet pointu et jaune s’est enfoncé dans le radiateur et que c’est de ce point que la vapeur d’eau sort.
- Nous avons heurté un poulet et sous le choc son bec a percé notre radiateur, conclut Vieux Charlie qui a de l’expérience en mécanique.
- Je comprends, dit Kotoko. Le vieil homme pleure son poulet mort avec beaucoup de démonstration pour que nous prenions pitié de lui et lui donnions quelques cédis pour qu’il s’en rachète un autre… Bien vivant !
- Je crois que tu as raison, Kotoko. Allons le consoler et donnons-lui quelques cédis. Il se calmera.
Nos amis s’approchent du vieillard qui tient toujours ses deux mains sur sa tête et gémit : « Oh! My brothers! You killed my small little this thing… » . Quand il aperçoit les quelques cédis que Vieux Charlie lui tend, le vieil homme cesse de vociférer, empoche bien vite ses sous et après un rapide « Thank you my brothers ! God bless you ! », il s’empresse de regagner sa petite maison.
Nos amis reprennent la route jusqu’à un garage où ils font réparer le radiateur. Ils gagnent ensuite Akosombo où ils décident de passer la nuit avant d’embarquer le lendemain sur l’« African Queen », le bateau qui circule sur l’immense lac créé par le barrage. Kotoko et Vieux Charlie s’endormiront en pensant au vieil homme et dans leurs rêves ils l’entendront répéter : « Oh! My brothers! You killed my small little this thing… ».
A bord de l'african Queen, barrage d'Akosombo, Ghana
Idem
10:00 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ghana, python, akosombo, singes, cedis, tema |
25/01/2012
La Sévigné sur les rives de la Bièvre
A Paris ce 20 mai 1681
Ma toute bonne,
La Ventière vient de me transporter au bout du monde, dans un lieu que l’esprit le plus fertile n’aurait point imaginé. Il arriva de bon matin avec une voiture légère à laquelle notre bonne jument Nyctalope était attelée.
- Marquise, me dit-il, en ce magnifique jour de mai je vous propose de sortir de Paris et de filer bon train vers la rive gauche de la Seine qui ne vous est point très familière. J’ai une surprise pour vous !
Et fouette, cocher ! A peine étais-je remise de mon étonnement que Nyctalope et notre équipage s’engageaient place Royale* après avoir quitté en trombe la cour pavée de mon hôtel de Carnavalet. Décidément cette Nyctalope a du tempérament. Il est vrai que le cocher du marquis de Rambuteau qui conduisait l’attelage me semblait bien pris de boisson et que nous négociions les tournants sur les chapeaux de roues. Les fers de nos roues laissaient jaillir des étincelles contre les bornes qui protègent les porches…
A peine quittée la place Royale, nous débouchâmes sur le pont Marie et traversâmes au grand trot l’Isle Saint-Louis avant de nous engager sur le pont de la Tournelle. Nous aurions pu nous diriger vers Notre-Dame et gagner la rive gauche de la Seine par le Petit-Châtelet. Mais sa sinistre réputation fit que La Ventière m’en épargna la vue. Cette prison est aussi effrayante que les malfaiteurs qu’elle renferme. Nous laissâmes la Porte Saint-Bernard à notre main gauche pour nous engager dans le chemin qui longe le collège du cardinal Le Moyne**. Vers l’église Saint-Médard, nous atteignîmes le but de notre cavalcade, la Bièvre. Je ne sais trop si vous avez ouï dire de cette rivière qui serpente mollement dans les faubourgs du sud de notre capitale. Son eau alimente les nombreuses fermes qui la bordent et permet aux tanneurs de pratiquer leur pestilentielle activité. Nous dépassâmes Les Gobelins où sa majesté a créé une manufacture de tapisseries de haute lisse dont la renommée dépasse nos frontières.
Le château de la reine Blanche, 13ème arrondissement de Paris
Nous laissâmes derrière nous le château de la Reine Blanche*** et son huilerie aussi vite que le vent d’orage chasse les nuages. La Ventière devant mon étonnement m’expliqua que ce lieu empuantait l’air et que nous allions nous engager dans un vilain chemin vers le moulin de Coulebarbe dont la roue tourne au gré du courant de la Bièvre. A quelques arpents de là, une petite île au milieu de la rivière était occupée par les potagers des ouvriers des Gobelins. Quelle ne fut point ma surprise quand je perçus des cris affreux. A me crever les tympans ! Jamais mes oreilles n’avaient ouï pareil son. Je croyais à quelque présence diabolique en ces lieux reculés quand j’aperçus deux petits yeux malins qui me dévisageaient…
- Des singes, ce sont des singes qui aboient ainsi… s’exclama La Ventière. J’en ai vu chez les barbares dans le nord de l’Afrique… Regardez, marquise, ils sautent sur le toit de notre voiture…
Alors ma toute bonne, ce fut une belle cavalcade. Les bateleurs qui laissent ici leurs singes en liberté se précipitèrent pour rameuter leur chienlit. Jamais pareille troupe n'a aussi bien mérité ce nom. Ces animaux, qui nous ressemblent fort, sont d’une saleté repoussante. Ils commençaient à jeter leurs chiures sur notre belle Nyctalope qui en était courroucée…
Nous nous enfuîmes et à quelques encablures, le but de notre périple était atteint : la Glacière. La bien nommée. En descendant de notre voiture, je découvris avec La Ventière une petite grotte dont l’issue était bien scellée et que La Ventière fit prestement ouvrir par un manant. Enveloppés dans des tonnes de toile de jute, des pains de glace recueillis l’hiver précédent dans la Bièvre attendaient le chaland. Nous en baillâmes quelques-uns pour l’office. Notre bonne cuisinière saura préparer des sorbets et peut-être des crèmes… Quel délice !
Avant de reprendre le chemin de la place royale, nous aperçûmes quelques castors, des bièvres comme les appellent les paysans, qui prenaient le soleil… Jamais je n’avais vu autant d’animaux étranges en si peu d’espace et de temps.
J’espère que toutes ces visions animales ne vont point perturber mes rêves. Je clos cette lettre en vous embrassant sur les deux joues avec tout l’amour que vous savez.
Les arrières des Gobelins, rue Berbier du Mets, Paris 13ème, sous laquelle coule la Bièvre...
La Bièvre, fin XIXème, avant qu'elle ne fût enterrée
*Actuellement place des Vosges
** Rue du cardinal Lemoine dans le 5ème arrondissement de Paris
*** rue Gustave Geffroy, 13ème
19:10 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : paris, bievre, castors, singes, gobelins |