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27/02/2012

La Sévigné aux Rochers

 

Les Rochers, le 10 juin 1681

 

Ma toute bonne,

 

Me voici entre les murs de cette vieille bâtisse des Rochers au sein du domaine qui me vient de votre père Henri et que je me dois de faire prospérer en sa mémoire. Vous connaissez ce château austère tout de pierre de granit, surmonté de toits d’ardoises si pentus que l’eau de pluie y glisse plus vite qu’il ne faut de temps pour le dire. J’aime cette demeure et la vie à la campagne me sied. Outre que la vie y est moins chère qu’à Paris, mes fermiers et mes métayers me gâtent d’œufs frais, de poulets élevés au grain et d’énormes carpes. L’air ici n’est point vicié comme celui de la capitale et les grands vents d’ouest apportent une fraîcheur toute marine, l’océan n’est pas si éloigné. Mon seul trouble est celui de mes articulations car l’humidité est de règle en ses terres bretonnes et elle apporte de la rouille à mes jointures.  Je vais souvent prier pour vous dans la petite chapelle octogonale que j’ai offerte à mon  Bien-Bon oncle, l’abbé de Coulanges.

 

Castle-Rochers-Sevigne1.jpg

Le manoir des Rochers près de Vitré (Ille-et-Vilaine)

 

Mon projet de jardin à la française n’avance guère. Je ne suis point le Roi de France et ma bourse a un fond alors que celle de sa majesté n’en connaît pas. Les bois valent cependant tous les parcs tracés au cordeau et les allées qui les percent sont un enchantement, surtout à cette saison. Ah, comme je regrette que tous les oiseaux qui peuplent mes arbres ne puissent point porter jusqu’à vous toute mes marques d’affection !

Ainsi que je vous l’avais laissé entendre dans ma précédente missive, j’ai effectué une halte chez mon ami le duc de Saint-Simon en sa demeure de La Ferté-Vidame. Il m’accueillit sur les marches de son immense bâtisse avec sa nouvelle et jeune épouse Charlotte de l’Aubespine de Châteauneuf. Je ne voudrais pas vous donner l’impression que je m’égare mais un rapide calcul me dit que la jeune femme est plus jeune que son époux de 40 ans, au moins. Elle lui a déjà donné un héritier, Louis* maintenant âgé de 6 ans. Ce qui prouve que la verdeur ne quitte jamais les hommes bien nés.

 

Château de La Ferté-Vidame en 1769.jpgLe château de la Ferté-Vidame au XVIIème siècle (dessus d'une tabatière). Il fut détruit à la Révolution.

 

Enfin il s’agit là du conte officiel. Par la bande, car je ne suis point dans l’intimité des Saint-Simon,  je crois savoir que le duc Claude n’opéra pas ou ne procréa pas seul. Il fut, selon la rumeur, mais comment l’écrire sans vous froisser, utilement secondé par un jeune étalon pour féconder son Aubespine… Le duc Claude s'avéra toujours très arrangeant. Au service de Louis XIII, il avait la réputation de « ne point baver dans le cor du roi », selon les dires de Tallemant des Réaux. Féru de chasse, grand expert dans l’art de vénerie, il offrit mille services au père de notre Louis XIV. A la chasse et à la guerre. Feu notre bon roi ne fut pas ingrat et le dota de terres immenses du côté de Bordeaux à Blayes et à La Ferté. Duc et pair de France, décoré de l’ordre du Saint-Esprit, il n’évita pas la disgrâce à laquelle peu de favoris échappent. La mort de Louis XIII, le juste de triomphante mémoire,  le plongea dans des abîmes de chagrin. Depuis cette disparition, il réside à La Ferté et chasse tout son saoul à travers étangs, forêts et prés. Son amitié avec Louis XIII, son intimité si je puis oser ce mot, a en son temps suscité des rumeurs dont la jalousie était certainement le fondement. Il n’en reste pas moins que ce Louis s’entourait de beaucoup d’hommes bien faits et dociles. Je ne suis pas prude à ce point que j’ignorerais certaines pratiques masculines (féminines aussi semble-t-il) aussi vieilles que notre monde et qui ne furent pas toujours aussi cachées que de nos jours.

Mon séjour à La Ferté fut bref mais enchanteur. Le duc connaît l’histoire de notre pays, de l’intérieur. Il en a vécu tous les grands épisodes non pas comme témoin mais comme acteur. Ses récits sont passionnants. Et comme il devient sourd, il est hors de question de l’interrompre. Une fois lancé, il est comme un cheval au galop. Plus d’une fois, mon nez a piqué de l’avant, entraîné par le sommeil au cours de ses interminables récits. Heureusement pour moi, la vue du duc baissant, il ne prêtait point attention à mon inattention, emporté par ses souvenirs que, pour certains, il devait bien garder par devers lui.

Ma toute bonne, ce sera tout pour cet après-midi. Je dois visiter quelques fermes et je constate que déjà le soleil baisse sur l’horizon. Soyez assurée que mon cœur bat pour vous chaque seconde. Je vous embrasse comme je vous aime.

 

*le futur mémorialiste