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13/11/2009

L'homélie du cardinal

Paris le 22 septembre 1680

Ma toute bonne,

Laissez-moi vous conter ce qui fut en ce 21 septembre l’événement à la cour de notre bien aimé Roi.

Le Cardinal de Grenellini avait choisi cette date combien symbolique, l’entrée dans l’automne, pour prononcer une homélie du haut de la chaire de la chapelle du collège royal de Clermont, à Paris au cœur du quartier Latin, que Louis-le-Grand visita en grande pompe voici quelques semaines.

La chapelle était comble quand vêtu de pourpre le Cardinal entra dans l’édifice précédé du clergé, les abbés Tourond et Simonot entourés d’un aréopage d’enfants de chœur, bercé par les flots musicaux de l’orgue et un nuage d’encens.

La cérémonie commença et je vous passe l’enchaînement du rite que vous connaissez pour en arriver au sermon. Le Prince de l’Église était attendu par la foule des fidèles. Ces dames de la cour avaient fui Versailles pour s’asseoir aux premières chaises du premier rang : la Marquise des Nonnes si proche du Cardinal qu’on la dit un temps son intime, la Comtesse de Montalenvers dont l’esprit nous a donné quelque souci ces jours derniers tant les mots semblent traverser sa pauvre cervelle comme des oiseaux dans le ciel, sans laisser de trace, et la Comtesse de Lefeuvre, qui reçut son titre en remerciement d’obscurs services dont la décence m’interdit de dire davantage. La Lefeuvre était arrivée en compagnie du Marquis des Maquereaux qui fut doté d’une abbaye par sa majesté à l’issue du combat sans merci qu’il livra contre ces maîtres d’école butés et récalcitrants, tout incapables d’entendre et de faire aimer à leurs ouailles les discours si intelligents de notre bien aimé Roi.

Mais je m’égare et revenons à notre sermon. Ah ma toute bonne, que notre déception fut grande ! Nous savions que le Cardinal était affligé d’une voix fluette, héritage de sa famille méditerranéenne, mais en ce premier jour de l’automne nous eûmes le sentiment qu’elle s’étiolait avec son âge comme la lumière du soleil en cette saison. Nos oreilles tendues vers l’orateur ne perçurent point de paroles propices à l’édification de notre âme. Le Cardinal se contenta de menacer des foudres de Dieu les quelques fidèles qui pénétrèrent dans la chapelle alors qu’il avait entamé son sermon. Parmi ces retardataires, on comptait Monsieur du Portail, arrivé depuis quelques semaines de sa lointaine Bretagne. Il se révèle peu au fait des usages de la cour et de la capitale, toujours précédé par sa voix forte, plus habituée aux grèves de l’Armor qu’aux salons parisiens. Du retard des fidèles, le Cardinal, en peine de veine, tenta d’élargir son discours aux cas des courtisans qui trop souvent arrivent au lever ou au souper de Roi alors que sa Majesté les a bien entamés. De Grenellini s’essaya ensuite à quelque élévation de l’esprit. Mais toutes ses tentatives furent vaines.

Le Cardinal nous semblait abandonné par le Seigneur, dépourvu du souffle paraclet, pour tout vous avouer, ennuyeux…
A maintes reprises mes yeux se fermèrent et mon âme s’envola vers vous qui êtes si loin de mon cœur. Enfin «l’amen» tant attendu résonna sous les voûtes de la chapelle royale et la Comtesse de Lefeuvre se retint avec peine d’applaudir des deux mains le Cardinal, se croyant au théâtre, car elle avait bu ses paroles comme un élixir d’amour. L’office se termina dans la monotonie et dès que «l’ite missa est» retentit, je quittai la chapelle, fuyant la cour qui s’empressa autour du Cardinal dont les paroles indigentes avaient ranimé ce méchant mal de tête qui m’afflige depuis votre départ lorsque je m’ennuie.

En quittant le collège de Clermont pour regagner mon carrosse, j’aperçus le Comte de Bernattaque qui sortait précipitamment de l’édifice si pâle que je le crus souffrant. Je ne sus s’il était comme moi désolé de ce qu’il avait entendu ou si une sourde douleur habitait son âme tourmentée.

Je vous embrasse comme je vous aime, de tout mon cœur.

10:05 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (0) |

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