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13/11/2009

Le conclave

Paris le 20 novembre 1680


Ma toute bonne,

Je vis ou plutôt je survis. Ma santé devient délicate, le flux de mon sang s’emballe comme un cheval piqué au vif, mes entrailles brûlent de feux dignes de l’enfer et pour couronner ce pitoyable tableau, mes os vieillissent et craquent comme les membrures d’un vieux vaisseau de notre royale marine. Mais je m’égare. Et si ma carcasse est branlante, la santé de mon âme est excellente et celle de mes méninges tout pareillement, ce sont elles qui comptent, le reste n'est qu'intendance. La douce perspective de vous lire prochainement agit comme un baume sur ces maux et me les fait oublier.

Mes doigts me démangent de vous conter les dernières frasques du Cardinal de Grenellini. Comme vous le savez par mes dernières lettres le Prince de l’église et La Lefeuvre doivent quitter Paris pour Rome dans les tous prochains jours. Les deux pigeons s’aimeraient d’amour tendre et platonique, du moins le laissent-ils entendre. Mon instinct me dit à mi-voix que leurs rapports ne relèvent pas seulement de la carte du Tendre mais aussi d’une autre carte, plus charnelle. Mais je m’égare. Suis-je donc à ce point incorrigible ? Une âme charitable m'a rapporté que la capitale m'avait affublée d'un surnom : Persiflore. Ne serait-il point démérité ?

Avant de monter dans son carrosse pour rejoindre Marseille où il embarquera pour rallier Rome, le Cardinal a dû organiser, sur les ordres de sa Majesté, un grand conclave qui a réuni à Paris les ambassadeurs de tous les pays amis de notre royaume. A vrai dire, Grenellini est fort peu au fait des questions étrangères à la France. Je peux même écrire que dès qu’il franchit les murs qui protègent notre ville, voire sa si chère rue de Pernelle, il se sent exilé. En bref, il a aussi peu d’appétit pour l’étranger qu’un veau pour le foin… Mais pour complaire au Roi, il s’est incliné, comme il sait si bien le faire… Sa paresse naturelle le fit reporter la charge de l'organisation de cette réunion sur le pauvre comte de la Ventière qui ne peut rien refuser à Membrini qui a l'oreille de Seychelles, le ministre des relations étrangères de notre bien aimé roi. Je vous épargne les détails des préparatifs et j'en viens au coeur de l'affaire qui me fut contée par la Ventière lui-même tant il en avait gros sur le coeur.

Le Roi annonça la veille de ce conclave international et de haut niveau qu'il ne pourrait point saluer les ambassadeurs, retenu par des activités de la plus importance pour l'Etat, une chasse dans les bois de Meudon probablement ou une partie fine avec la Montespan. Grenellini et la Ventière quelque peu dépités comptaient sur le soutien de des Seychelles mais qu'elle ne fut point leur déception lorsque ce dernier leur fit savoir par Bernattaque qu'il serait retenu par une affaire qui ne souffrait aucun retard. En fait quelque lutinage avec un de ses nombreux mignons. Il est de notoriété publique que des Seychelles a déserté le chemin des dames depuis sa prime jeunesse. Comme vous le savez ce penchant est fort bien porté de nos jours et s'épanouit dans l'indifférence générale, exceptée celle du clergé, ce dernier étant quelque peu mal à l'aise sur ce sujet. Selon une rumeur persistante qui ne m'a point échappé, maints de ses membres appartiendraient à la confrérie des coureurs de caleçons. Tout comme Frédéric de Mitterand, le neveu de feu le roi François, qui eut l'imprudence voici quelques années de rapporter dans des letres publiées à Amsterdam des aventures vécues lors d'un périple dans la lointaine et effrayante Asie avec des représentants du sexe fort dont le métier est de s'offrir en échange de quelques écus. Pas de quoi fouetter un chat. Mais certains de nos politiques virent là une occasion d'attaquer notre bon roi dont le Mitterrand est ministre des arts. Ce fut ridicule et l'opinion se retourna vite contre ces adeptes de Monsieur Jansen et de sa morale étriquée, contre les intégristes dont Madame de la Peine est le porte-voix. Le petit Hamon, qui se veut janséniste, n'y survivra pas avec sa triste mine de curé défroqué (il fut au collège des jésuites de Brest...).

Mais une fois de plus je m'égare.

Je vous imagine interrogative quant à ce Bernattaque, je l'ai croisé en sortant du collège de Clermont, il est au service du cardinal depuis quelques mois. Et comme il entend poursuivre sa carrière dans une ambassade du royaume dans une île de la Méditerranée, il s'est mis bien avec des Seychelles qui glisse dans l'oreille de sa majesté les noms de nos ambassadeurs.

Pauvre conclave ! Point de Roi, point de ministre.

Le sang de Grenellini ne fit qu'un tour. Il devrait présider. Toujours aussi courageux, le jour venu il se fit porter pâle et la Ventière s'en fut seul au conclave. Présidé par deux obscurs sous-fifres au service de des Seychelles, la réunion fut morne, sans nerf : les tristes sires Goustan et Dieubourg, d'obscurs petits barons, n'eurent de cesse de manifester leur désintérêt tant et si bien qu' ils en vinrent à jouer au bilboquet devant l'assistance médusée. Tous croyaient ce jeu tombé en désuétude depuis Henri III. Voilà que ces deux-là manipulaient en public le manche et la boule avec frénésie s'encourageant de clins d'oeil entendus. La Ventière, si soucieux de l'image du royaume au-delà de ses frontières, était vert.

Le conclave se terminant, Goustan annonça avec dédain qu'une collation attendait les ambassadeurs dans le vestibule. La Ventière prit les devants et à son habitude alla vérifier si tout était en ordre. Ah ma chère, ce qu'il vit alors décupla sa honte! Quelques verres dépareillés se battaient en duel sur un bout de table sans nappe... Le vin n'était qu'une piquette des côteaux de Suresnes. Connaisseur en vin, la Ventière n'aurait jamais servi à nos hôtes étrangers ce breuvage acide et déclassé. Il eut choisi du vin de Champagne ou un rouge d'Irançy dans l'Yonne. D'ailleurs les ambassadeurs ne demandèrent point leur reste et s'enfuirent vers leurs carosses en ricanant.

Ce fut un fiasco qui met en évidence le désintérêt des plus hautes têtes du royaume pour tout ce qui a trait à l'étranger. Alors qu'il y va de notre image et de notre avenir. La tentation va être grande pour l'Espagne d'attaquer un Roi de France et ses ministres qui n'ont que leur bon plaisir en tête.

La Ventière m'a communiqué son extrême préoccupation pour l'avenir de notre Etat et devant notre morosité partagée m'a proposé de l'accompagner au royaume de Pologne où des Seychelles le mande pour y régler une affaire qu'il ne m'a point révélée. Je vais accepter. Je ne manquerai point de vous conter ce périple qui m'excite déjà. Et tant pis pour ma santé, les cahots de la route et le roulis du bateau remettront tous mes maux en place !

Je vous embrasse comme je vous aime, de tout mon coeur.



10:00 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (0) |

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