UA-116390607-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/01/2010

En Pologne (suite), il neige

IMG_0914.JPG

Varsovie le 16 décembre 1680


Ma toute bonne,

Lors du long voyage qui nous conduisit de Paris à Varsovie, Jean de la Ventière et ma modeste personne, je pris le temps de relire un de mes auteurs favoris. Non point Jean Racine ou Molière dont je connaîtrai bientôt par coeur les pièces de théâtre tant je les ai lues et vues et entendues à la Comédie française.

Cela va sans doute vous étonner mais ce sont les lettres de Sainte-Thérèse d'Avila qui m'ont à nouveau captivée. Dans ma prime jeunesse j'eus l'occasion de les lire lorsque je fus en pension chez les soeurs des Carmes à Rennes. Comme vous le savez ma chère enfant, cette noble Espagnole du siècle dernier avait mis toute son énergie au service de notre Seigneur. Toute sa vie, elle lutta avec détermination contre la futilité des soeurs engagées dans les ordres et se battit pour les ramener à une vie spirituelle digne de Dieu. Ce combat qui la conduisit au bord de la folie, elle le mena avec un humour et un recul rares chez une femme de ce temps-là.
Ce qui sans doute la sauva de la démence. Soyez rassurée ma toute bonne et ne pensez point qu'à mon tour je deviens mystique. Comme disait Christian de Kerangal, comte de Perros-Guirec, mon frère de coeur : « Ma chère marquise, vous avez les deux pieds dans la boue, comme nos manants, vous ne risquez pas de quitter la terre à laquelle vous êtes attachée ! » Ce Kerangal avait une langue bien acérée mais il connaissait mon âme comme le parc de son château, aucune allée ne lui était inconnue.

Mais à nouveau je m'égare. L'air de la Pologne est si sec en cette saison que mon cerveau tourne encore plus rapidement qu'aux Burons.

Ecoutez ce que j'ai noté pour vous. Sainte-Thérèse s'était blessée à la jambe. Elle dit à Jésus : « Seigneur, après tant d'ennuis, il faut encore que celui-là m'arrive! » Jésus répondit : « Thérèse, c'est ainsi que je traite mes amis. » Savez-vous ce que Thérèse répondit à Jésus : « Pas étonnant que vous en ayez si peu ! » Admirable !

Quand je lus cet échange à la Ventière, il en rit aux larmes. Notre calme retrouvé, nous eûmes un long échange sur la perfection vers laquelle tendent les saints et sur les dangers qu'il y a pour nous autres, communs des mortels, à tenter d'emprunter leurs traces. Ce que peuvent les grands mystiques, dotés d'une force d'âme hors du commun, ne nous est pas accessible. Il n'est pas souhaitable de s'engager dans une voie trop exigeante. Ni pour le corps, ni pour l'esprit. Cette exigeance peut créer une tension insupportable pour notre organisme et pour notre cerveau. Notre âme pâtirait gravement de cette tension excessive. « Regardez, me disait la Ventière, ces femmes et ces hommes qui s'engagent dans des défis permanents, sans s'assurer au préalable d'être dotés des moyens de les affronter. Regardez comme ils souffrent de la peur de l'echec qui peut à tout moment les fracasser. Regardez ces femmes (ou ces bélâtres) qui ne veulent pas accepter leur âge et souffrent le martyr dans des corsets trop serrés pour conserver leur minceur. Qui se ruinent en onguents pour masquer leurs rides. Regardez ces femmes et ces hommes qui s'engagent dans des responsabilités qui les dépassent et dans des carrières pour lesquelles ils n'ont jamais eu les capacités. Ils ne sont pas en paix avec eux-mêmes et ne le seront jamais. Ils souffrent. Et cette souffrance morale engendre bien souvent des maux du corps qui peuvent devenir mortels ! »

La Ventière avait lu notre cher Montaigne et je reconnaissais la tempérance du bon Aquitain. J'avoue que moi aussi je suis sensible à ce sens de l'équilibre qui fait tant défaut à nos contemporains, tout entichés de l'excès qu'ils sont. Malheureusement l'exemple vient de haut, de notre roi si je puis le nommer. Vous savez, ma toute bonne, que les hommes comme les moutons aiment à copier un modèle, surtout lorsqu'il a le pouvoir. La Ventière a vécu plusieurs années dans l'Empire Ottoman et plus précisément à Tunis où il représentait notre roi auprès du Bey. Il me confia alors tout le désastre sur les sujets de ce petit royaume des frasques du Bey, Ben Alef, et de sa première épouse, la Trabelmoi. Ce sera l'objet d'une nouvelle missive car je me suis déjà trop écartée de cette chère Pologne si accueillante pour tous les indésirables de notre Europe et qui accueille tous les juifs et tous les protestants chassés des royaumes où ils ont été déclarés personna non grata.

A vrai dire, je ne vis pas beaucoup la Ventière au cours de notre séjour varsovien. Il était mandé là par le roi qui lui avait confié une mission secrète de première importance. La Ventière et Jarocin tenaient de longs conciliabules dans un petit salons du palais. J'entendais leurs voix de loin comme une rumeur. Jarocin, comme tous les nobles d'Europe, parle un français remarquable. Il fut élevé par une fille de Mesquer, près de Guérande en Bretagne, que Madame Jarocin-mère fit venir tout exprès à Cracovie pour familiariser dès son plus jeune âge le jeune prince avec notre si belle langue. Je rencontrai cette fille de Mesquer, qui porte désormais sa cinquantaine avec superbe. Nous échangeâmes longuement des nouvelles de notre Bretagne qu'elle n'avait pas revue depuis près de 30 ans...

Je crus comprendre, au détour d'un échange à table entre les deux comparses, que Jarocin n'était pas satisfait du système électif qui régissait la vie politique du royaume de Pologne. Ici le roi n'est pas le fils ou le petit-fils de son père. Ce serait trop simple. Nos amis polonais ont inventé la monarchie élective. Quand le roi meurt, tous les nobles du royaume se rassemblent, les petits nobliaux comme les grands. Vous imaginez alors tous les pièges que les grands puissances voisines peuvent tendre à ce pays riche qu'ils convoitent pour son blé : les Allemands, les Suédois, les Russes si terribles et sanguinaires, les Autrichiens qui se pensent déjà chez eux à Cravovie (« cracouv » dirait ce cher prince) ou à Breislau. N'oubliez pas ma tout bonne que nous eûmes un Français sur le trône de Pologne en la personne d'Henri III. Oh ! Il comprit vite sa douleur. Après neuf mois sur place, à Cracovie, il ne résista point aus rigueurs de l'hiver et prit ces cliques et ses claques pour rentrer fissa à Paris. Ses mignons devaient lui manquer. La rusticité des garçons de ferme et des jeunes bouchers polonais, attirés par l'élégance de ce Valois, ne devait point lui convenir. Ils étaient de trop basse venue pour exciter son désir.

Il neige ma toute bonne. Nous sommes en décembre et cet après-midi le ciel est soudain devenu d'un vert mystérieux vers le couchant. Le prince Jarocin nous dit que le mélange de la nuit approchant par l'est et des nuages chargés de neige poussés par de fortes bourasques d'ouest était à l'origine de cette fantasmagorie. La Ventière raconta qu'en Tunisie il avait observé un phénomème semblable à l'approche d'une tempête d'hiver comme seule la Méditerranée sait en produire.

Les oeuvres de Dieu sont admirables. Et nous devons le remercier de toutes ces merveilles. Je suis bien lasse et vais prendre mon repos nocturne. Les flocons de neige dansent devant ma fenêtre (ici point de volets comme en Bretagne bien qu'il y fasse bien plus froid), pas un ne ressemble à l'autre, pas davantage que ces hommes et ces femmes que j'aime tant scruter.

Je vous embrasse comme je vous aime, de tout mon coeur.


17:29 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (1) |

Commentaires

Vite....des illustrations des tribulations de la Sévigné !!!! bravo et tous nos encouragements pour la suite....

Écrit par : comte christophe de rambuteau | 03/01/2010

Les commentaires sont fermés.