17/05/2014
Quand passent les cigognes
C’est comme une longue valse, de la première à la dernière image. Les personnages courent, virevoltent et sautillent : ils sont toujours en mouvement. Veronica, l’héroïne, danse avec les chars, avec les trains et avec les blessés qu’elle soigne. Elle est légère comme une ballerine.
Pourtant l’intrigue se déroule pendant la Deuxième guerre mondiale, en juin 1941 lorsque Hitler envahit l’URSS. Le film sort en 1958 et est présenté au festival de Cannes. La seconde guerre est toute proche, elle est l’objet d’une filmographie abondante spécialement en Union Soviétique. Au sein de tout ce bric-à-brac exaltant l’héroïsme communiste, Quand passent les cigognes détonne. Par son rythme, comme je l’écris plus haut, par la présence et la beauté des acteurs telle Tatiana Samoïlovka (Palme d’or pour son interprétation) dont les yeux en amandes nous rappellent que la Russie c’est déjà l’Asie.
Ce film fut réalisé par Mikhaïl Kalatozov en 1957 et comme les deux précédents que j’ai évoqués (Les grandes espérances et L’auberge rouge) il est en noir et blanc. Mais il s’agit d’un noir et blanc très spécial que l’on dirait adapté aux nuits blanches de l’été russe et aux nuits d’encre de l’hiver sibérien. Les éclairages, souvent concentrés sur les yeux, rapprochent les spectateurs des acteurs et des personnages qu’ils incarnent.
L’histoire est simple. Nous sommes à Moscou et Veronica est amoureuse de Boris, ils projettent de se marier. Quand l’URSS et l’Allemagne nazie entrent en guerre, Boris s’engage dans l’armée et part au front. Au cours d’un bombardement, la famille de Veronica est anéantie. Veronica échappe par miracle à cette catastrophe. Les parents de Boris décident de la prendre en charge et elle finit par céder aux avances d’un cousin de Boris, Marc-Alexandrovitch, pianiste de son état. Elle n’a plus de nouvelles de Boris qui est mort au combat, mais elle l’ignore. Elle se marie avec Marc-Alexandrovitch et ils partent en Sibérie, loin du front, où le père de Boris et sa sœur exercent dans un hôpital militaire. Marc-Alexandrovitch s’avère dépensier, noceur et peu fiable (le personnage est très dostoïevskien). Il est chassé du domicile des parents de Boris. Veronica, qui fait office d’infirmière, sauve un petit garçon d’une mort accidentelle et l’adopte : il s’appelle Boris…
Veronica apprend enfin que Boris est mort par un ami de ce dernier. Quand les troupes rentrent du front une fois le IIIème Reich écrasé, elle espère que Boris a pu échapper à la mort mais elle doit se résigner. Les cigognes qui passent dans le ciel de Moscou au début du film, repassent au-dessus de la gare où se trouve Veronica à la fin du film et où elle comprend qu’elle doit renoncer. Boris est mort. La vie reprend.
J’ai conservé un souvenir assez net de ce film car je l’ai vu à 8 ou 9 ans. Mais j’ai surtout retenu une scène, celle de la mort de Boris. Ce dernier se trouve avec un autre soldat en reconnaissance dans des marais et il est soudain mortellement blessé par une balle ennemie. Le réalisateur a choisi de montrer l’écroulement de Boris par les yeux de ce dernier. A peine frappé par la balle, Boris est pris de vertige et commence à voir le ciel tournoyer. Les bouleaux qui l’entourent en font de même. Le spectateur est saisi par les mouvements de la caméra, vit son effondrement avec Boris. Jusqu’à ce qu’on le voie tomber sur le dos dans l’eau marécageuse. C’est fini, il est mort.
Cette scène, relativement brève, est restée ancrée dans ma mémoire, comme celles que j’ai évoquées à propos des Grandes espérances et de L’auberge rouge. Cette fois, nous ne sommes plus dans l’espérance, dans le dévoilement ou dans l’amour. Nous sommes face à la mort, brutale et filmée de manière saisissante. L’amour, l’espérance, la vérité et la mort. Quel quatuor ! Un programme pour la vie !
J’ai aussi retenu de ce film l’écureuil en peluche qui scelle l’amour entre Veronica et Boris et que l’affreux Marc-Alexandrovitch vole à Veronica pour en faire cadeau à une catin de haut vol…
Il y a aussi la babka de Boris (grand-mère en russe) et les ciocia (tantes) ou ciotka (avec le diminutif) que j’ai découvertes en Pologne et qui tiennent un rôle primordial dans les familles d’Europe centrale et en Russie.
Je termine ainsi cette trilogie des films qui ont marqué mon enfance et ont gravé en moi des images pour la vie. Et sans doute aussi des leçons de vie.
12:18 Écrit par Jean Julien dans Écouter, regarder, écrire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : quand passent les cigognes, écureuil, moscou, russie, troisième reich, hitler, festival de cannes, tatiana samoïlovska |
11/05/2014
Tolérance
Un jeune gitan, Kendji, désigné par le public champion de l'émission Voice (TF1).
Un travesti, Conchita Wurts, - improbable femme à barbe - désigné champion du concours de l'Eurovision...
Les oiseaux de mauvaise augure qui disent avec acharnement que les Français sont racistes et que les Européens sont machistes ont du souci à se faire, surtout quand on sait que ce sont des jeunes qui pour l'essentiel votent dans le cadre de ces concours. L'Eurovision est aussi très prisée par les "gays" (je n'aime pas ce mot mais "homosexuel" est encore pire) qui organisent des soirées spéciales ce jour-là et votent beaucoup.
Je me réjouis à titre personnel de ces deux événements qui montrent que la tolérance gagne du terrain en Europe.
10:20 Écrit par Jean Julien dans Billets d'humeur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : gitan, kendji, conchita wurts, eurovision, voice, tf1, gays, jeunes |
10/05/2014
Louis
C'est à Aisy-Jouy que tu es mort le 17 septembre 1918.
Dans l'Aisne, au Chemin des Dames.
De ce funèbre destin, rien ne transparaît.
Du parfum des églantines l'air embaume en ce matin de mai 2014.
Les fleurs blanches, si belles dans la lumière du printemps laonnois, nous ensorcellent.
Le chemin est rugueux qui monte de Volvreux vers la plaine et le champ où quelques coups de mitrailleuse eurent raison de toi.
Et où, pudique, je n'ose à ce jour aller.
Plus tard.
Rien ne presse.
Tu es là depuis bientôt 100 ans et nul n'était venu se recueillir en ces lieux où tu reposes sans sépulture comme beaucoup de soldats morts au front.
Le chemin est encombré des restes des tranchées où tu fus tué.
Béton armé.
Ferrailles improbables, os délaissés sur le chemin, os d'animal ou d'homme, mêlés et peu importe. Nul ne le sait.
La guerre, la Grande, fut rude.
Et tu y mourus le 17 septembre 1918.
Demain, je prendrai le chemin du champ où tu reposes sans nom.
"Tous les cimetières communiquent" dit un de mes amis. Tu n'es pas dans un cimetière mais de savoir là où tu reposes t'en rapproche.
Aizy-Jouy le 3 mai 2014 : la vallée du Sancy, Volvreux avec son bouquet d'arbres et le plateau, invisible ici. C'est probablement là, à droite sur cette photo, que Louis fut fauché. On devine le chemin qui monte vers la gauche avec ses haies d'aubépines.
J'ajoute à cette page deux citations :
"J'entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante." In Les chants de Maldoror, Isidore Ducasse, comte de Lautréamont (1846 -1870).
"Cette ombre, mon image, qui va et vient cherchant sa vie." Ballade de moi-même, Walt Whitman (USA, 1819 - 1892)
Je tiens à remercier Marc et Patrick qui m'ont accompagné dans cette exploration.
16:54 Écrit par Jean Julien dans Alfred, André, Julien, Louis et Marcel dans la Pre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : aizy-jouy, aisne, volvreux, sancy, grande guerre, chemin des dames, 14 18, aubépines |
Martinets
Nous sommes le 10 mai 2014. Et ce matin, en rejoignant l’avenue du Général Leclerc, j’ai reconnu leur cri.
J’ai cru tout d’abord qu’il s’agissait d’un de ces multiples bruits de la ville. Des crissements de freinage, des sonneries de téléphone portable, des gloussements de perruches humaines (elles sont nombreuses à Paris), des stridences de disputes mâles… Mais non.
En levant mon regard vers le ciel, je les ai vus. Déchaînés comme à leur habitude. Depuis que je les connais, et cela remonte aux années 1950, ils sont déchaînés. Indomptables, prompts aux figures les plus acrobatiques. Aviateurs des temps immémoriaux, ils rayent le ciel avant de disparaître dans les lointains. Nos martinets étaient de retour.
Ils étaient là. Caravelles du ciel. Volant très haut selon leur habitude, à peine visibles pour nous pauvres terriens, mais trop bas pour les insectes qui descendent vers le sol quand la pression diminue et qu’il pleut, et qu'ils deviennent pour eux des proies faciles.
Martinets. Vous annoncez l’été. Et soyez-en remerciés.
16:17 Écrit par Jean Julien dans Écouter, regarder, écrire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : martinets, paris, 14ème |