03/07/2011
Mademoiselle Moimoi*
Elle a le nez si pointu et si proéminent et le menton si rentré vers sa gorge qu’on ne peut point l’observer sans voir sur sa face celle d’une grenouille ou d’une chouette. Mademoiselle Moimoi (mais comment diable ses parents ont-ils pu l’affubler de ce prénom ?) Mademoiselle Moimoi se pense très belle, si belle qu’elle ne parle que d’elle.
Mademoiselle Moimoi s’admire dans son grand miroir doré. Elle est seule mais elle se parle à elle-même car elle est d’elle-même l’auditrice la plus fidèle et la plus compréhensive.
« Ah là là ! Mais qu’est-ce que je suis belle, moi ! »
Pourtant le grand miroir ne reflète que la face ingrate d’une vieille chouette. Mais l’illusion de soi peut dans certains cas être plus forte que la réalité.
Mademoiselle Moimoi étant danseuse classique, elle esquisse ensuite quelques pas de valse et quelques entrechats devant son miroir doré. « Admirable, quelle grâce j’ai, nom d'un chien ! De quelle souplesse je fais preuve malgré les années ! » Dans le miroir, une silhouette biscornue et sans intérêt se dandine maladroitement.
Sur ces entrefaites, arrive une des rares amies de Moimoi. Car Moimoi a peu d’amies. Elle est très exigeante avec ses relations et ces dernières sont triées sur le volet. On pourrait aussi écrire que personne, même les âmes les plus charitables, ne la supporte mais la Moimoi ne s’en est jamais rendu compte.
La pauvre amie approche peureusement de la Moimoi sachant par avance qu’elle va récolter quelque pique acerbe en échange de sa visite .
« Bonjour Moimoi. Comment te portes-tu en cette belle journée ensoleillée ? »
« Mon corps resplendit et ma robe me met si bien en valeur ! Quel galbe ma chère ! Je n’ai pas changé depuis mes 18 ans, le temps de ma splendeur ! » s'exclame la Moimoi.
L’amie de Moimoi, la pauvre Nénette, se retient de rire. Le corps qui s’offre à ses yeux n’a rien de gracile et montre au contraire des signes indubitables d’embonpoint liés à l’âge avancé de Moimoi. On peut être Mademoiselle et compter plusieurs décennies au compteur.
Malheureusement, Moimoi aperçoit le sourire à peine esquissé sur les lèvres de Nénette.
« C’est ainsi que tu me remercies de tout ce que j’ai fait pour toi, Nénette ! Tu oses me narguer ! Tu n’es qu’une chipie. Sors d’ici ! »
Nénette préfère battre en retraite. Elle sait Moimoi incapable de rédemption et de compréhension, enfermée qu’elle est dans sa tour d’ivoire. Alors Nénette la laisse à elle-même et à son dérisoire amour de soi. Moimoi finira sa vie seule trop occupée qu’elle est de sa personne.
*Toute ressemblance ne serait ici que fortuite et bien involontaire bien que cette histoire me fût inspirée par Madame Leila Trabelsi, épouse du président Ben Ali, dont la bêtise n’avait d’égale que la cupidité. Quand j’ai séjourné en Tunisie, je l’avais baptisée la Trabelmoi.
17:41 Écrit par Jean Julien dans Histoires à dormir debout | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : trabelsi, ben ali, tunisie, égotisme, amour de soi, dérision |
29/06/2011
Grand-mère n'est pas contente
Pour Tsilavina Zafindravaka qui m'a raconté cette histoire qui serait survenue dans sa maison familiale de Tananarive
Il pleut sur les tôles qui couvrent la maison d’Anjanahary. Ces tôles sont si vieilles et si rouillées qu’elles sont percées de mille trous. Alors, pour recueillir l’eau qui passe au travers de cette passoire, on a disposé sur le plancher du grenier des casseroles, des boîtes de conserve vides, des seaux et toutes sortes de récipients destinés à contenir l’inondation et qu’il faut vider régulièrement pendant la saison des pluies, de décembre à mars. Car quand il pleut sur les hauts plateaux de Madagascar, ce n’est pas du crachin breton. Des grosses gouttes tièdes se précipitent vers le sol et trempent tout ce qui les croise : les passants imprudents, les animaux égarés et les grosses araignées suspendues à leurs toiles.
Les grosses araignées de Madagascar
Cette nuit dans la grande maison d’Anjanahary à Tananarive le tintamarre des récipients s’ajoute à celui des gouttes d’eau qui s’abattent sur le toit. Mais ce tintamarre régulier de la pluie tropicale s’accompagne d’un autre bruit qui vient troubler la quiétude de la nuit. Des tiroirs de commodes s’ouvrent et se ferment bruyamment alors que toute la maisonnée est au lit. Des portes d’armoire grincent sur leurs gonds. On dirait que quelqu’un cherche quelque chose.
Ces bruits sont si étranges que personne ne dort plus. Tous sont aux aguets et pensent qu’un voleur est en train de fouiller le rez-de-chaussée de la maison profitant de l’obscurité et de la pluie battante pour chaparder quelque maigre bien.
Alors, Vola*, le courageux fils aîné de la maison, sort de sa chambre sans bruit et à pas de loup descend l’escalier en prenant soin de ne pas faire grincer la 6ème marche, celle qui doit être réparée depuis des lustres. Arrivé au rez-de-chaussée, armé d’une vieille canne, il glisse de pièce en pièce pensant à chaque instant se retrouver nez-à-nez avec un voleur. Mais, à son grand étonnement, personne. Seul le chat de la maison vient à sa rencontre et se frotte contre ses jambes en miaulant. « Ah ! Si les chats pouvaient parler, on en saurait plus sur la vie des maisons ! » pense Vola.
Il s’assoit un instant dans le vieux fauteuil au coin de la cheminée. Et soudain, le tiroir de la commode claque, refermé brutalement par une main invisible. Et puis la porte de l’armoire grince. Vola est pensif. Une force inconnue manipule ces meubles. A Madagascar, c’est un phénomène fréquent. Certaines maisons des hauteurs de Tananarive sont depuis longtemps inhabitées car inhabitables. On les dit hantées. Alors elles restent vides. Vola se demande qui peut bien être derrière ces mouvements de tiroirs et de portes à la recherche d’un objet qui lui appartient. Qui avons-nous enterré récemment ? Grand-mère Rakota. Alors il faut vérifier qu’elle est bien partie dans son tombeau avec tout ce dont elle avait besoin pour son séjour dans l’au-delà, comme les pharaons d’Egypte. N’aurait-on pas oublié de poser à ses côtés un objet familier ? L’électricité a été coupée par la pluie battante et Vola se munit d’une lampe torche pour inspecter les commodes et les armoires. Et soudain il tombe sur le dentier de grand-mère Rakota. « C’est donc cela qu’elle vient chercher, son dentier. Rien d’autre. On va le déposer dans son tombeau à ses côtés. »
Dès le lendemain matin, ce fut chose faite. Et la nuit suivante aucun bruit étrange ne vint perturber la tranquillité de la maison d’Anjanahary.
Les esprits rationnels me diront que tout cela n’est que conte pour les enfants. Sans doute. Mais les enfants ont beaucoup de chance de croire aux histoires qu’on leur raconte. Et les adultes qui savent préserver leur âme d’enfant ont un grand privilège.
* Vola : prénom malgache qu'on peut traduire par la force ou l'argent, ou les deux
15:15 Écrit par Jean Julien dans Histoires à dormir debout | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : madagascar, tananarive |
22/06/2011
Glose
Voici une histoire que ma grand-mère paternelle a vécue. Elle perdit en effet son dentier dans des circonstances étonnantes. A paraître prochainement une autre histoire sur le même sujet mais qui se déroula à Tananarive, capitale de Madagascar.
14:45 Écrit par Jean Julien dans Histoires à dormir debout | Lien permanent | Commentaires (1) |
Grand-mère a perdu son dentier
Pour Aurélie Marsollier-Hoisnard, ma grand-mère paternelle (1900-1981)
La Couyère, Ille-et-Vilaine
(En Pays Gallo, vers 1960)
Aurélie et Suzanne, sa fille, ont décidé de se lever très tôt ce matin. Aussi quand sonne l’angélus au clocher de La Couyère, vers 5 heures et demie du matin, et que le premier merle commence à siffler, Aurélie ouvre-t-elle un œil dans son grand lit.
Il fait à peine jour, seul un petit rayon de lumière passe au travers des volets fermés. Toute la maisonnée dort. C’est que la chambre d’Aurélie compte 4 lits, sans oublier le lit pliant, horriblement inconfortable et réservé aux hôtes de passage. Aurélie dort seule mais dans chacun des 3 lits restants dorment deux personnes. 3 fois deux 6. Plus 1 cela fait sept ! Une vraie couvée de poussins !
Vite levée, vite lavée, vite habillée, Aurélie réveille Suzanne qui aurait aimé prolonger son rêve. Mais on est jeudi et il faut aller au Petit trou laver le linge sale. Le petit trou c’est la mare située pas très loin de la maison. Après un bol de café bien mélangé de chicorée, on rassemble le linge sale. On le charge sur la brouette. On pousse la brouette sur la petite sente qui longe les maisons puis les jardins, passe devant le puits, laisse les toilettes dans leur cabane en bois sur la gauche, et conduit au Petit trou *.
La maison d'Aurélie, au milieu
Le puits
Arrivées au bord de la mare, les deux femmes placent leurs boîtes à laver au bord de l’eau et s’agenouillent, les jambes protégées de l’eau froide par la caisse en bois. Et elles commencent à tremper le linge, à l’imprégner de savon de Marseille, à le frotter, à le rincer, à l’essorer…
Soudain, un plouf discret. Aurélie pousse un cri strident… « Mon dentier, mon dentier ! » Il lui a échappé. Peut-être bavardait-elle trop avec Suzanne, la tête penchée sur l’eau ? Le dentier est tombé dans l’eau sombre du Petit trou et il a disparu…
Aurélie est très contrariée. Elle n’a plus de dents et a vraiment besoin de son dentier pour manger et parler. La stupeur passée, que faire ? Aurélie et Suzanne saisissent un seau auquel on a fixé un long manche et elles tentent de racler le fond de la mare avec cet instrument rudimentaire. Mais que tenter d’autre ? Elles rapportent des kilos de vase avec le seau emmanché. Et aussi une vieille brosse à dent. Et une vielle boîte de sardines rouillée…
Elles sont au bord du découragement quand, soudain, Aurélie croit distinguer une forme familière dans la vase noire. Une dent, puis une autre brillent au soleil. Le dentier émerge de la vase. « Le dentier ! Mon dentier chéri te voilà retrouvé ! »
Aurélie et Suzanne font un signe de croix pour remercier le bon Dieu de les avoir aidées. Aurélie, très sage, attendra de rentrer à la maison une fois la lessive terminée pour laver son dentier et le replacer dans sa bouche.
Aurélie fut-elle plus prudente après cette mésaventure ? Parla-t-elle moins en lavant son linge ? Je ne m'en souviens pas. Mais les enfants retiendront de cette histoire que trop parler peut parfois jouer des mauvais tours ! A bon entendeur, salut !
* Curieux, ne cherchez pas Le Petit trou, il a été comblé.
14:37 Écrit par Jean Julien dans Histoires à dormir debout | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pays gallo, la couyère, 1960 |