22/11/2009
L'anniversaire de la Ventière
Paris le 30 octobre 1680
Ma toute bonne,
Ce fut hier soir une grande fête que la Ventière fils donna pour son 35ème anniversaire. Le marquis et la marquise la Ventière père ne purent se déplacer depuis leur château de Verneuil. Comme vous le savez la marquise Julienne n'aime plus les voyages et l'idée de rester immobile dans un carosse pendant des heures lui est insupportable. Il est vrai que Jean avait réuni toute la famille voici quelques jours au château de ses parents. Le vicomte Christian et son épouse Brigitte, née de Joliminois, leur fille la comtesse Anne et son époux le comte Mathieu de Jansen-Sarlan accompagnés de leur progéniture Hélène et Yves. La mère de Madame Brigitte était des leurs, la marquise de Joliminois.
Hier soir nous fûmes donc en l'hôtel particulier de Jean, l'hôtel d'Issoire, sis dans le sud de Paris sur la route qui conduit à Orléans. Savez-vous ma toute bonne que Jean m'a expliqué qu'il habite le long d'une voie que déjà les Romains empruntaient et que peut-être les mamouths, ces animaux de la préhistoire qui ont disparu de la surface de la terre, passaient aussi par là. C'est Monsieur du Portail qui le prétend, et vous savez comme moi qu'il est fort bien informé. Il était d'ailleurs de la fête.
L'assistance était fort belle. Nous avions chez la Ventière tout ce qui compte à Paris et même en province puisque les comtes d'Epernay, Marc et Patrick, avaient fait le déplacement depuis leur Champagne. Les comtesses de Colombes étaient de la fête, Odile et Nicole. Elles avaient pris leur plus bel attelage pour rallier Paris depuis leur château de la Colombine. Le marquis Laurent de Clichy et le prince Mamy d'Antananarena honorèrent eux aussi le salon de Jean. Laurent de Clichy et le prince Mamy (la douceur en langue malgache ce qui lui va comme un gant) ont connu la Ventière fils à Madagascar voici quelques lustres.
Le prince Bounkiet de Sengvienkham, issu d'une vieille lignée du Tonkin, de retour d'une ambassade en terre d'islam, est venu en compagnie du comte Christophe de Saint-Denis qui a choisi depuis peu de s'installer dans la bonne ville de Saint-Denis où dorment nos rois pour l'éternité.
Le comte Christophe de Rambuteau ayant été mandé par notre roi dans l'un des royaumes d'Allemagne, le prince Frylvera de Cotonou, son intime, le représenta. Rambuteau arriva cependant un peu sur le tard tout étourdi de sa course depuis Dusseldorf. Le jeune prince Frylvera n'a qu'un rêve : prendre les airs dans ces nouvelles machines volantes si effrayantes. Le marquis Bernard de Nantes, une vieille connaissance africaine de Jean, et le prince Christophe de l'Ile Bourbon arrivèrent de conserve à l'hôtel d'Issoire, familiers qu'ils sont des lieux depuis bien longtemps. Le prince Patrick de Mayotte et le comte Thomas de Billanges vinrent les derniers bien qu'ils fussent les plus proches voisins de la Ventière.
Enfin, et je garde le meilleur pour la fin, le comte Jean de la Ventière nous présenta officiellement le mystérieux prince qui depuis des mois habitait ses rêves. Je vous le dis ma toute bonne, l'attente en valait la peine. Le prince Dewenrel de la Volta Haute est entré dans le grand salon paré de ses plus beaux atours. A vrai dire, il n'en a guère besoin tant sa corpulence est magnifique. Sans parler de son visage où s'expriment tout mêlés l'intelligence, la vivacité et la noblesse. Le prince de la Haute Volta salua avec respect toutes ces dames, à vrai dire peu nombreuses, et tous ces messieurs, habitué qu'il est des cours de son Afrique natale où il a grandi.
Je sentais Jean ravi. L'adjectif est faible. Je devrais écrire enchanté. Nous ne savions plus trop, nous ses invités, si son anniversaire importait encore à Jean ou si son coeur et son esprit étaient entièrement dévoués au prince Dewenrel.
C'est alors qu'arriva le comte Frédéric du Bellay, le peintre fameux, si bien en cour depuis quelques années. Jean était heureux, entouré de ses amis les plus chers, pour certains comme le comte Frédéric proches de lui depuis plusieurs décennies.
La fête fut ravissante. Les mets et les boissons rivalisaient d'exotisme : du jus de bissap venu d'Afrique, du sirop de gingembre dont je me méfie car on dit qu'il décuple les ardeurs amoureuses et donne au sexe fort un membre dur comme la pierre (je ne saurais vous en dire plus car mon expérience en ce sujet est bien limitée). Nous goûtâmes des chinoiseries qu'à vrai dire je découvrai, raffinées et savoureuses comme les gens du Tonkin, et puis des viandes à la française et des vins de notre terroir.
La soirée filait bon train quand soudain un cri retentit :
Madame se meurt, Madame est morte !
J'avais déjà entendu Bossuet s'exclamer ainsi lors de son prêche pour la pauvre Madame Henriette morte dans l'éclat de son jeune âge. Mais à ma connaissance nulle princesse ne venait de passer de vie à trépas. Je l'aurais su.
Jean sortit alors du grand salon pour interroger ses valets. L'un d'eux était en larmes et n'osait annoncer au comte que sa chère chatte, appelée Madame et qu'il avait recueillie en Afrique, venait de rejoindre le ciel des animaux...
Nous fûmes tous rassurés et la fête reprit de plus belle. La Ventière aimait sa chatte (si je puis dire) mais il ne voulait point exprimer de contrition en une circonstance aussi heureuse.
Le gâteau vint lorsqu'une partie de l'assistance avait déjà oublié le motif de sa présence, occupée qu'elle était à deviser, grisée par les saveurs mélangées et les libations partagées. Certaines roucoulaient, certains se trémoussaient et s'essayaient à suivre le rythme de la viole de gambe, d'autres enfin parmi lesquels je figurais devisaient sans répit. Il fallait en profiter au milieu de si beaux esprits et de si jolis minois.
Je ne saurais vous conter la fin de la soirée car, pauvre de moi, je m'endormis sur un canapé repue que j'étais de si bonnes chairs et de tant de paroles.
Je me réveillais dans mon carosse à la porte de mon hôtel.
Je vous embrasse comme je vous aime de tout mon coeur.
17:43 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (0) |
13/11/2009
L'homélie du cardinal
Paris le 22 septembre 1680
Ma toute bonne,
Laissez-moi vous conter ce qui fut en ce 21 septembre l’événement à la cour de notre bien aimé Roi.
Le Cardinal de Grenellini avait choisi cette date combien symbolique, l’entrée dans l’automne, pour prononcer une homélie du haut de la chaire de la chapelle du collège royal de Clermont, à Paris au cœur du quartier Latin, que Louis-le-Grand visita en grande pompe voici quelques semaines.
La chapelle était comble quand vêtu de pourpre le Cardinal entra dans l’édifice précédé du clergé, les abbés Tourond et Simonot entourés d’un aréopage d’enfants de chœur, bercé par les flots musicaux de l’orgue et un nuage d’encens.
La cérémonie commença et je vous passe l’enchaînement du rite que vous connaissez pour en arriver au sermon. Le Prince de l’Église était attendu par la foule des fidèles. Ces dames de la cour avaient fui Versailles pour s’asseoir aux premières chaises du premier rang : la Marquise des Nonnes si proche du Cardinal qu’on la dit un temps son intime, la Comtesse de Montalenvers dont l’esprit nous a donné quelque souci ces jours derniers tant les mots semblent traverser sa pauvre cervelle comme des oiseaux dans le ciel, sans laisser de trace, et la Comtesse de Lefeuvre, qui reçut son titre en remerciement d’obscurs services dont la décence m’interdit de dire davantage. La Lefeuvre était arrivée en compagnie du Marquis des Maquereaux qui fut doté d’une abbaye par sa majesté à l’issue du combat sans merci qu’il livra contre ces maîtres d’école butés et récalcitrants, tout incapables d’entendre et de faire aimer à leurs ouailles les discours si intelligents de notre bien aimé Roi.
Mais je m’égare et revenons à notre sermon. Ah ma toute bonne, que notre déception fut grande ! Nous savions que le Cardinal était affligé d’une voix fluette, héritage de sa famille méditerranéenne, mais en ce premier jour de l’automne nous eûmes le sentiment qu’elle s’étiolait avec son âge comme la lumière du soleil en cette saison. Nos oreilles tendues vers l’orateur ne perçurent point de paroles propices à l’édification de notre âme. Le Cardinal se contenta de menacer des foudres de Dieu les quelques fidèles qui pénétrèrent dans la chapelle alors qu’il avait entamé son sermon. Parmi ces retardataires, on comptait Monsieur du Portail, arrivé depuis quelques semaines de sa lointaine Bretagne. Il se révèle peu au fait des usages de la cour et de la capitale, toujours précédé par sa voix forte, plus habituée aux grèves de l’Armor qu’aux salons parisiens. Du retard des fidèles, le Cardinal, en peine de veine, tenta d’élargir son discours aux cas des courtisans qui trop souvent arrivent au lever ou au souper de Roi alors que sa Majesté les a bien entamés. De Grenellini s’essaya ensuite à quelque élévation de l’esprit. Mais toutes ses tentatives furent vaines.
Le Cardinal nous semblait abandonné par le Seigneur, dépourvu du souffle paraclet, pour tout vous avouer, ennuyeux…
A maintes reprises mes yeux se fermèrent et mon âme s’envola vers vous qui êtes si loin de mon cœur. Enfin «l’amen» tant attendu résonna sous les voûtes de la chapelle royale et la Comtesse de Lefeuvre se retint avec peine d’applaudir des deux mains le Cardinal, se croyant au théâtre, car elle avait bu ses paroles comme un élixir d’amour. L’office se termina dans la monotonie et dès que «l’ite missa est» retentit, je quittai la chapelle, fuyant la cour qui s’empressa autour du Cardinal dont les paroles indigentes avaient ranimé ce méchant mal de tête qui m’afflige depuis votre départ lorsque je m’ennuie.
En quittant le collège de Clermont pour regagner mon carrosse, j’aperçus le Comte de Bernattaque qui sortait précipitamment de l’édifice si pâle que je le crus souffrant. Je ne sus s’il était comme moi désolé de ce qu’il avait entendu ou si une sourde douleur habitait son âme tourmentée.
Je vous embrasse comme je vous aime, de tout mon cœur.
10:05 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (0) |
Le souper chez le cardinal
Paris le 12 novembre 1680
Ma toute bonne,
Le Cardinal de Grenellini me fit l’honneur voici quelques jours de m’inviter en son hôtel de Tartignac rue de Pernelle. Si la toute nouvelle demeure du Prince de l’Église est fort élégante, l’étroite rue de Pernelle est un perpétuel chantier, encombrée par des charrois de pierres, envahie par le bruit incessant des équarisseurs sans vous parler des troupeaux de vaches que des pique-boeufs conduisent en hurlant vers les abattoirs des bords de Seine. J’ai le sentiment que mon ami La Bruyère n'aurait pas d'embarras à décrire notre Paris en travaux permanents s’il venait à emprunter cette rue toute de guingois.
Mais comme à mon habitude je m’égare dans des diversions qui m’écartent de l’essentiel.
Le cardinal m’a donc invitée pour le souper, à la mode nouvelle vers 7 heures du soir. Mon carrosse pénétra dans la cour de l’hôtel de Tartignac derrière celui de la Marquise des Nonnes dont je vous ai déjà parlé. La voiture de la Marquise de Lefeuvre était déjà parquée, les chevaux dételés… Je compris que la Lefeuvre avait tenu compagnie au Cardinal tout l’après-midi.
Madame des Nonnes et moi-même montâmes de conserve les quelques marches du perron et nous fûmes accueillies dans le vestibule par un nouveau laquais du Cardinal, de belle corpulence mais d’une peau si noire qu’elle en brillait. Ma toute bonne, je n'avais jamais vu d'aussi près une telle créature, aussi bien découplée qu'effrayante. Cet impressionnant laquais nous conduisit au grand salon bleu si magnifiquement meublé. Aux côtés du Cardinal trônait la Lefeuvre avec son petit air de ne pas y toucher. L’éternel Marquis des Maquereaux était déjà là, affublé de son air satisfait et narquois.
Sur ce, arriva le Comte de la Ventière qui, après nous avoir salués avec la politesse dont il est coutumier, nous dit être rentré le jour même de ses terres du duché de Mayenne. Monsieur de la Ventière fut pendant quelques années l’ambassadeur de sa Majesté au royaume de Pologne. Il fut auparavant chargé par le Roi d’explorer les côtes du Golfe de Guinée. On dit même qu’il se rendit jusqu’à Fort-Dauphin dans cette île si lointaine de l’océan Indien qu’on nomme Madagascar. Tous ces voyages pour le compte de sa Majesté ont entouré le comte d’une réputation d’espion dont il se défend, mais les rumeurs ont la vie dure comme vous le savez.
Un second laquais apparut dans l’embrasure d’une porte pour annoncer que le souper de Monsieur le Cardinal était servi. Si le premier laquais était noir de peau, celui-ci était aussi blanc et blond qu’un Germain ou un Suédois. Décidément, le Cardinal aime l’exotisme, du moins dans les personnes à son service. Après un «Merci Jonas» adressé au laquais, le Cardinal nous pria de le suivre vers la salle à manger à travers les salons de musique, puis de jeux et ensuite de la magnifique bibliothèque qui me fit pâlir d’envie. Imaginez des livres tous reliés de cuir et dorés sur tranche, sur trois murs de six mètres de haut.
Arrivés dans la salle à manger entièrement meublée de bois d’acajou, le Cardinal pria Madame de Lefeuvre de prendre son vis-à-vis. Je me retrouvai à la droite du prince et Mme des Nonnes à sa gauche. Monsieur de la Ventière prit place entre La Lefeuvre et moi-même tandis que ce fat de Maquereaux s’assit à la droite de celle-ci. Vous savez comme moi toute l’importance du placement des invités dans le monde. La Lefeuvre, qui n’a guère de cervelle mais connaît les usages, rayonnait à la place d’honneur tandis que la des Nonnes se sentait déclassée bien qu’elle fût près du Cardinal. Elle fut elle-même voici quelques années à la place aujourd’hui occupée par la Lefeuvre. Vous comprendrez sans peine ma toute bonne ce qu’elle put éprouver…
Le grand laquais noir, que le Cardinal appela Lucien, ce que je trouvai fort peu exotique, nous servit un moelleux de choux fleurs et de saumon fumé. Ce nouveau chou arrivé depuis peu d’Amérique est fort prisé par notre bon Roi qui le fait servir régulièrement à sa table. Nous bûmes un vin blanc de Chablis que j’adore. Dès cette entrée, je sentis que le Cardinal n’avait d’yeux que pour la Lefeuvre et qu’il se préparait à faire une annonce. M. des Maquereaux devait être dans la confidence car il souriait d’un air entendu promenant son regard goguenard du Prince à la Marquise. Je perçus que M. de la Ventière devenait nerveux. Il avait entendu à la cour que sa Majesté envisageait de lui confier une nouvelle ambassade et il craignait qu’une indiscrétion n'ait alerté le Cardinal, qui n’était pas vraiment son ami.
Après les volailles vinrent les rôtis, et au dessert, un croquembouche aux fruits confits, après que le bouchon de la bouteille de Champagne eut sauté, il se dressa sur son séant et levant son verre déclara d’un ton enjoué: «Mes amis, je vais vous apprendre une bonne nouvelle. Sa Majesté dans sa grande sagesse a décidé de nommer une femme ambassadeur. Ma chère Marquise, ajouta-t-il en pointant son verre vers La Lefeuvre, vous rejoindrez bientôt Rome où sa Majesté vous mande pour la représenter. Comme je dois visiter le Pape, je vous accompagnerai dans ce long et périlleux voyage depuis Paris.»
Je crus que M. de la Ventière allait défaillir. Le ministre du Roi, M. de Seychelles, lui avait laissé entendre qu’il rejoindrait prochainement la ville antique. Le dépit se lut sur son visage.
Je craignis pendant quelques secondes que M. de la Ventière ne sautât de son siège pour griffer le visage poupin de la Lefeuvre. Heureusement, un tel esclandre nous fut épargné : le laquais Jonas ouvrit la porte à deux battants de la salle à manger et annonça : «Mme la Marquise de Montalenvers!»
La Montalenvers, parée de tous ses atours, paraissait confuse, surprise de nous voir au dessert. «Mais Monsieur le Cardinal, dit-elle timidement, vous m'aviez conviée pour 9h du soir...» Les doutes que j'avais sur l'état cérébral de la Marquise se confirmèrent. Sa mémoire vacille. Le Cardinal usa de toute sa courtoisie pour rassurer la pauvre Montalenvers et ne pas aggraver son désarroi.
Son entrée inopinée eut cependant le mérite de faire diversion et de détendre l'atmosphère.
Je vous embrasse comme je vous aime.
10:03 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (0) |
Le conclave
Paris le 20 novembre 1680
Ma toute bonne,
Je vis ou plutôt je survis. Ma santé devient délicate, le flux de mon sang s’emballe comme un cheval piqué au vif, mes entrailles brûlent de feux dignes de l’enfer et pour couronner ce pitoyable tableau, mes os vieillissent et craquent comme les membrures d’un vieux vaisseau de notre royale marine. Mais je m’égare. Et si ma carcasse est branlante, la santé de mon âme est excellente et celle de mes méninges tout pareillement, ce sont elles qui comptent, le reste n'est qu'intendance. La douce perspective de vous lire prochainement agit comme un baume sur ces maux et me les fait oublier.
Mes doigts me démangent de vous conter les dernières frasques du Cardinal de Grenellini. Comme vous le savez par mes dernières lettres le Prince de l’église et La Lefeuvre doivent quitter Paris pour Rome dans les tous prochains jours. Les deux pigeons s’aimeraient d’amour tendre et platonique, du moins le laissent-ils entendre. Mon instinct me dit à mi-voix que leurs rapports ne relèvent pas seulement de la carte du Tendre mais aussi d’une autre carte, plus charnelle. Mais je m’égare. Suis-je donc à ce point incorrigible ? Une âme charitable m'a rapporté que la capitale m'avait affublée d'un surnom : Persiflore. Ne serait-il point démérité ?
Avant de monter dans son carrosse pour rejoindre Marseille où il embarquera pour rallier Rome, le Cardinal a dû organiser, sur les ordres de sa Majesté, un grand conclave qui a réuni à Paris les ambassadeurs de tous les pays amis de notre royaume. A vrai dire, Grenellini est fort peu au fait des questions étrangères à la France. Je peux même écrire que dès qu’il franchit les murs qui protègent notre ville, voire sa si chère rue de Pernelle, il se sent exilé. En bref, il a aussi peu d’appétit pour l’étranger qu’un veau pour le foin… Mais pour complaire au Roi, il s’est incliné, comme il sait si bien le faire… Sa paresse naturelle le fit reporter la charge de l'organisation de cette réunion sur le pauvre comte de la Ventière qui ne peut rien refuser à Membrini qui a l'oreille de Seychelles, le ministre des relations étrangères de notre bien aimé roi. Je vous épargne les détails des préparatifs et j'en viens au coeur de l'affaire qui me fut contée par la Ventière lui-même tant il en avait gros sur le coeur.
Le Roi annonça la veille de ce conclave international et de haut niveau qu'il ne pourrait point saluer les ambassadeurs, retenu par des activités de la plus importance pour l'Etat, une chasse dans les bois de Meudon probablement ou une partie fine avec la Montespan. Grenellini et la Ventière quelque peu dépités comptaient sur le soutien de des Seychelles mais qu'elle ne fut point leur déception lorsque ce dernier leur fit savoir par Bernattaque qu'il serait retenu par une affaire qui ne souffrait aucun retard. En fait quelque lutinage avec un de ses nombreux mignons. Il est de notoriété publique que des Seychelles a déserté le chemin des dames depuis sa prime jeunesse. Comme vous le savez ce penchant est fort bien porté de nos jours et s'épanouit dans l'indifférence générale, exceptée celle du clergé, ce dernier étant quelque peu mal à l'aise sur ce sujet. Selon une rumeur persistante qui ne m'a point échappé, maints de ses membres appartiendraient à la confrérie des coureurs de caleçons. Tout comme Frédéric de Mitterand, le neveu de feu le roi François, qui eut l'imprudence voici quelques années de rapporter dans des letres publiées à Amsterdam des aventures vécues lors d'un périple dans la lointaine et effrayante Asie avec des représentants du sexe fort dont le métier est de s'offrir en échange de quelques écus. Pas de quoi fouetter un chat. Mais certains de nos politiques virent là une occasion d'attaquer notre bon roi dont le Mitterrand est ministre des arts. Ce fut ridicule et l'opinion se retourna vite contre ces adeptes de Monsieur Jansen et de sa morale étriquée, contre les intégristes dont Madame de la Peine est le porte-voix. Le petit Hamon, qui se veut janséniste, n'y survivra pas avec sa triste mine de curé défroqué (il fut au collège des jésuites de Brest...).
Mais une fois de plus je m'égare.
Je vous imagine interrogative quant à ce Bernattaque, je l'ai croisé en sortant du collège de Clermont, il est au service du cardinal depuis quelques mois. Et comme il entend poursuivre sa carrière dans une ambassade du royaume dans une île de la Méditerranée, il s'est mis bien avec des Seychelles qui glisse dans l'oreille de sa majesté les noms de nos ambassadeurs.
Pauvre conclave ! Point de Roi, point de ministre.
Le sang de Grenellini ne fit qu'un tour. Il devrait présider. Toujours aussi courageux, le jour venu il se fit porter pâle et la Ventière s'en fut seul au conclave. Présidé par deux obscurs sous-fifres au service de des Seychelles, la réunion fut morne, sans nerf : les tristes sires Goustan et Dieubourg, d'obscurs petits barons, n'eurent de cesse de manifester leur désintérêt tant et si bien qu' ils en vinrent à jouer au bilboquet devant l'assistance médusée. Tous croyaient ce jeu tombé en désuétude depuis Henri III. Voilà que ces deux-là manipulaient en public le manche et la boule avec frénésie s'encourageant de clins d'oeil entendus. La Ventière, si soucieux de l'image du royaume au-delà de ses frontières, était vert.
Le conclave se terminant, Goustan annonça avec dédain qu'une collation attendait les ambassadeurs dans le vestibule. La Ventière prit les devants et à son habitude alla vérifier si tout était en ordre. Ah ma chère, ce qu'il vit alors décupla sa honte! Quelques verres dépareillés se battaient en duel sur un bout de table sans nappe... Le vin n'était qu'une piquette des côteaux de Suresnes. Connaisseur en vin, la Ventière n'aurait jamais servi à nos hôtes étrangers ce breuvage acide et déclassé. Il eut choisi du vin de Champagne ou un rouge d'Irançy dans l'Yonne. D'ailleurs les ambassadeurs ne demandèrent point leur reste et s'enfuirent vers leurs carosses en ricanant.
Ce fut un fiasco qui met en évidence le désintérêt des plus hautes têtes du royaume pour tout ce qui a trait à l'étranger. Alors qu'il y va de notre image et de notre avenir. La tentation va être grande pour l'Espagne d'attaquer un Roi de France et ses ministres qui n'ont que leur bon plaisir en tête.
La Ventière m'a communiqué son extrême préoccupation pour l'avenir de notre Etat et devant notre morosité partagée m'a proposé de l'accompagner au royaume de Pologne où des Seychelles le mande pour y régler une affaire qu'il ne m'a point révélée. Je vais accepter. Je ne manquerai point de vous conter ce périple qui m'excite déjà. Et tant pis pour ma santé, les cahots de la route et le roulis du bateau remettront tous mes maux en place !
Je vous embrasse comme je vous aime, de tout mon coeur.
10:00 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (0) |