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18/10/2011

A l'ombre des micocouliers

 

A son habitude, Kotoko rêvait sous les grands arbres du parc de Montsouris. Mais il était dérangé par un piaillement incessant dont il avait du mal à déterminer l’origine. Il provenait certainement d’oiseaux : eux seuls étaient suffisamment bavards pour provoquer un tel barouf. Kotoko décida à contre cœur de sortir de ses rêves et de partir à la recherche des auteurs de ces chants entêtants. Et il finit par découvrir dans un arbre immense toute une colonie de perruches vertes. Une vraie troupe : non pas une perruche isolée qui se serait échappée d’une cage. Non, Kotoko découvrit une trentaine d’oiseaux parés de plumes de ce vert brillant qui n’appartient qu’aux tropiques.

 

-          Mais, que faites-vous ici, dans le parc de Montsouris, vous perruches habituées des pays d’Afrique ? demanda Kotoko à la perruche qui semblait surveiller la troupe et devait en être le chef.

 

-          Bonjour Kotoko, nous avons entendu parler de toi. Nous savons que tu as entrepris un grand voyage depuis le Ghana avant d’arriver dans ce parc voici quelques semaines. Nous aussi, nous avons voyagé depuis l’Afrique, mais, mon cher, en avion ! La classe pour des oiseaux comme nous ! Certains de nos frères migrateurs font le voyage à coup d’ailes. Pour nous ce furent des cages dans le ventre d’un gros avion. Et puis à l’arrivée, la surprise. Nos cages se renversent, s’ouvrent et prestement nous prenons notre envol et découvrons que nous sommes à Paris. Le parc de Montsouris nous a offert le gîte et le couvert. 

 

-          Quelle histoire ! heureusement que c’est toi perruche qui me la raconte. Sinon les enfants ne la croiraient pas.

 

Kotoko était heureux de retrouver des amis d’Afrique. Surtout en liberté. Il avait vu des singes et des lions dans un zoo. Mais derrière des cages. Les perruches étaient libres comme l’air. Libres de voler où bon leur semblait.

 

-          Kotoko. Je vais te faire une proposition. Aimerais-tu voler avec nous ? Nous savons que tu n’as pas d’ailes. Mais nous pourrions te soulever et à plusieurs t’offrir un baptême de l’air comme aucun hérisson du Ghana n’en a vécu à ce jour.

 

-          Merci perruche. Cette proposition me tente mais je crains le vertige…

 

-          Ne t’inquiète pas. Avec nous tout ira bien.

 

Et c’est alors que l’incroyable se produisit. Une dizaine de perruches se posèrent sur le dos piquant de Kotoko et saisirent de leurs petites pattes quelques-unes de ses épines. Un premier essai. Un deuxième. Au troisième, les dix perruches soulevèrent Kotoko qui se retrouva dans les airs pour la première fois de sa vie. Le parc de Montsouris rapetissa. La ville immense s’offrit au regard de notre ami ghanéen.

 

Mais les perruches ne pouvaient pas de leurs petites ailes faire voler Kotoko très longtemps. Poussées par le vent du nord, elles traversèrent le boulevard Jourdan, survolèrent un tramway qui roulait vers la porte de Choisy, et glissèrent entre deux des résidences de la Cité universitaire internationale : celle de Tunisie et celle appelée Lucien Paye que les perruches aimaient beaucoup car elle hébergeait de nombreux étudiants africains. Elles n’étaient pas perdues les perruches, elles savaient vers où elles volaient. Les grands micocouliers les attendaient. Ces grands arbres de Virginie, en Amérique, les accueillaient tous les soirs. Elles se sentaient bien dans leurs branches solides pour y passer la nuit.

 

Les dix perruches déposèrent délicatement Kotoko à l’ombre des micocouliers, sur la pelouse riche en insectes bien nourris. Et c’est là que notre hérisson se remit de ses émotions aériennes.

 

-          Ouf ! s’exclama-t-il. J’aime bien le ciel mais je préfère la terre. Merci les perruches. Profitez bien de votre liberté. Mais rappelez-moi le nom de ces grands arbres d’Amérique…

 

-          Des micocouliers ! piaillèrent les dix perruches. C’est pourtant simple !

 

-          Merci les micocouliers ! Je préfère mille fois votre ombre au vide ensoleillé du ciel.

 

  

 

 

 

01/10/2011

La marquise à Venise, "ancora..."

 

Venise, le 28 février 1681

 

Ma toute bonne,

Décidément, l’air de cette ville me réussit. Jusqu’à un certain point, car n’oubliez pas que nous sommes sur des îles au milieu de la mer et l’humidité qui règne ici en reine me cause quelques douleurs aux articulations. Certains matins mes pauvres genoux sont aussi rouillés que les poulies d’un vieux gréement. Je fais contre mauvaise fortune bonne grâce et me dis que ces maux ne sont point mortels. Bien des habitants de Venise meurent de maladies mystérieuses importées des pays lointains où ses bateaux vont commercer.  La vie et la mort se côtoient ici  avec une proximité saisissante. Le plaisir et la vertu également.

Ce cher la Ventière m’a entrainée dans un quartier où, ma toute bonne, je me serais crue aux portes de l’enfer. Figurez-vous des femmes par centaines, qui penchées aux fenêtres de leur maison, qui penchées sur un pont dont le nom à lui seul résume l’activité de ce quartier de perdition, le « ponte delle Tette »… Je ne vous traduirai point ce mot italien mais vous devinerez que ces créatures exhibent avec malice ce qu’elles devraient cacher avec le plus grand soin. Elles escomptent attirer les hommes qui de toutes conditions viennent ici rôder à la recherche du plaisir. Je ne suis pas prude. Moi aussi j’ai su attirer les représentants du sexe fort. Je sais d’expérience que nos attributs, certes dissimulés comme le veut la décence mais aussi légèrement dévoilés, constituent quand ils sont fermes un appât auquel la gent masculine est fort sensible. Mais dans ce quartier, les pauvres filles se dépoitraillent et se parent de coiffures extravagantes d’un rouge démoniaque pour attirer le chaland.

Il est vrai que cette ville regorge de voyageurs, de marins et de marchands qui encore célibataires ou loin de leurs épouses sont malgré tout soumis aux lois de la nature et qui, après de longs voyages sur la mer… Je m’arrête car je m’égare encore une fois. Vous sentez bien mon trouble devant ce commerce dont j’avais eu vent à Paris. Sa franche exposition dans ce quartier de San Polo, les cris des racoleuses, leurs mots doux envoyés aux passants, me font voir d’un autre œil les femmes qui pratiquent ce négoce. Ne dit-on pas ici que l’une d’elles était si célèbre au siècle passé que sa maison bruissait des pas des célébrités de la ville et que lors de la visite de notre bon roi Henri III, Veronica Franco, c’était son nom, fut portée nue dans un plat jusqu’à notre souverain lors d’un banquet mémorable, en juillet 1574 si ma mémoire est bonne… On sait que notre Henri le troisième n’était guère attiré par le beau sexe et préférait la compagnie des gentilshommes. On dit aussi qu’il ne s’ennuya point à Venise et qu’il regagnait le palais Foscari à l’aube bien fatigué… Je m’égare à nouveau.

Toutes ces femmes ne tirent pas leur épingle de ce jeu. Certaines sont plus habiles que d’autres. J’eus ainsi le loisir d’observer une pauvresse qui avait beau s’exhiber sous toutes les coutures dans une robe rouge, rien n’y faisait. Personne ne la regardait, on l’aurait dite transparente. L'attitude grotesque de cette « vecchia carampana » (je ne traduirai point)faisait fuir les passants. Venise, vous le comprenez, est comme beaucoup de ports un concentré d’humanité. Et pour vous réconcilier avec cette dernière sachez que Veronica Franco (celle que l’on promena sur un plat pour amuser Henri III) fonda une maison du secours. Elle aida celles qui exercent les métiers du plaisir, si j'ose ainsi m’exprimer, à rejoindre les chemins de la vertu par une éducation stricte et à trouver les voies du mariage au terme d’une retraite édifiante.

Avant que je ne l’oublie, sachez que j’ai reçu des nouvelles de mes amis de Paris. Le comte de Rambuteau a enfin aménagé dans son nouvel hôtel particulier avec le prince Frylvera de Cotonou. Il paraît que tout dans cet hôtel n’est que beauté. Le comte et le prince ayant décidé de monter une ménagerie, ils s’entourent d’animaux. Des chiens notamment, longs et bas, et ils me demandent si Nyctalope peut rejoindre leur écurie. Je leur en ferai la surprise.

La Ventière commence à me préparer à l’idée qu’il va falloir quitter ce paradis. Je ne sais si je suis atteinte de procrastination  mais je penserai demain à ce nouveau périple qui me conduira vers vous, ma toute bonne, que je pourrai enfin serrer contre mon cœur.

Je vous embrasse comme je vous aime. Je file à un bal masqué.

 

 

16:02 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : venise, sevigne, plaisir |