18/11/2011
Les lorgnons de Lana
- Lana. Lana. Est-ce que tu m’entends ? N’aie pas peur, je suis une voix amie qui te veut du bien.
Lana somnolait sur son lit après une bonne nuit passée dans la chambre qu’elle partage avec son frère Ewan. Elle sursauta en entendant ce murmure.
- Qui m’appelle ainsi ? Maman et papa ne sont pas réveillés à cette heure matinale. Il fait à peine jour. Jade ? La chatte ? Elle ne sait que miauler et dort dans le salon en-bas…
La voix reprit.
- Lana. Ecoute-moi bien. Je te parle de très loin. Ma voix est faible. Toi seule peux l’entendre. Prête-moi l’oreille…
Lana vérifia qu’elle n’avait pas dormi avec les écouteurs de son baladeur. Rien sur ses oreilles. Aucun fil. Pas de baladeur.
- Lana… Je te parle de si loin que tu dois me prêter une grande attention. Est-ce que tu peux me rendre un service ? Je viens vers toi car tu es la seule qui peut m’aider.
- Oui… répondit timidement la petite fille dont le cerveau était maintenant bien réveillé. Oui, la Voix. Je t’écoute… Mais essaie de ne pas réveiller mon frère Ewan qui dort encore profondément.
- Tu dois t’imaginer que je ne suis qu’une voix… Mais j’ai aussi un corps et donc des yeux pour te voir. Tu ne me vois pas parce que je vis dans un monde merveilleux qui est invisible à ton regard.
- Je comprends, répondit Lana. Tu es un fantôme ! J’ai déjà écouté des histoires avec des fantômes, comme à Madagascar.
- Non, s’exclama la Voix. Je suis une ombre qui glisse entre les nuages. Mais une ombre qui a perdu ses lorgnons !
- Ses lorgnons ? Mais de quoi parles-tu ? Je ne connais pas ce mot. Jamais entendu !
- Il existe pourtant ce mot ! Je suis une lorgnonarde ! Je porte des lorgnons : deux verres sur une monture sans branche que je pince sur mon nez… Ce ne sont pas des lunettes mais presque ! Et je te parle depuis un autre temps d’il y a bien longtemps, c’était alors la mode de ces lorgnons.
Lana était surprise. Sans plus. Elle avait l’habitude de faire face à des situations nouvelles et savait s’adapter.
- Tu viens d’un autre temps ? D’accord. Mais tes lorgnons, je ne les ai pas.
- Cherche un peu dans tes tiroirs, s’il te plaît gentille petite fille.
Lana descendit de son lit superposé. Ouvrit quelques tiroirs de la commode. Et posés sous une pile de t-shirts découvrit… les lorgnons…
- Oups ! Comment ont-ils pu se cacher ici, je ne le saurai jamais.
Lana ne savait pas trop comment remettre ces lorgnons à la Voix. Elle n’eut pas à chercher bien longtemps. A peine les avait-elle déposés au creux de ses deux mains qu’ils s’envolèrent par la fenêtre ouverte, comme un papillon prend son envol avec ses deux ailes.
- Merci Lana, susurra la Voix. Grâce à toi je peux lire à nouveau et je ne manquerai pas de venir te raconter une histoire à toi et à Ewan.
Lana n’eut pas le loisir de répondre. Son frère venait de se réveiller. Il lui fallait maintenant raconter cette histoire à dormir debout… « Et si je la gardais pour moi » songea Lana… Mais elle préféra partager avec Ewan cette nouvelle et mystérieuse aventure.
15:14 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lorgnons, lana, ewan, voix |
01/11/2011
Kotoko sur le Rieu Pourquié
Pour Ewan à l'occasion de ses trois ans.
Kotoko s’ennuyait ferme dans le parc de la Cité universitaire internationale où les perruches vertes l’avaient transporté par les airs voici quelques jours.
Les étudiants qui peuplaient les résidences étaient tout à leurs études. Parfois, ils sortaient de leurs chambres pour se rendre dans les universités parisiennes ou pour courir avec leurs écouteurs vissés sur les oreilles.
Personne ne prêtait attention à notre pauvre hérisson.
Alors, il prit son courage à deux pattes, traversa le boulevard Jourdan au risque de se faire écraser par les voitures et les tramways. Mais il arriva sain et sauf dans le parc de Montsouris et se précipita vers les grilles. Il pointa son petit museau entre les barreaux peints en vert et se sentit aspiré par un énorme courant d’air semblable en tous points à celui qui l’avait expédié en Tunisie.
- Oh là là ! Quelle force dans ce courant d’air ! eut à peine le temps de murmurer Kotoko avant de se poser comme une fleur au milieu d’une forêt de chênes verts aussi dense que sombre.
Tout semblait calme entre les arbres. L’obscurité était profonde. Seul un bruit persistant d’eau qui coule intriguait Kotoko. Il s’en approcha et découvrit un ruisseau en apparence bien inoffensif. Et comme il avait soif, Kotoko se pencha vers l’eau pour se désaltérer.
Il se pencha, se pencha… et plouf, glissa ! Il glissa dans l’onde qui était très fraîche. Et le courant, invisible à la surface, emporta Kotoko qui réussit à maintenir sa tête hors de l’eau et trouva un gros morceau de bois auquel il put s’accrocher et ainsi flotter.
Et commença une descente dont notre hérisson se souviendra longtemps. Car Kotoko flottait sur les eaux du Rieu Pourquié qui coule dans le Haut-Languedoc. Et le Rieu Pourquié descend des montagnes vers la vallée aussi vite qu’un skieur. Ses eaux glissent entre les rochers, s’engouffrent sous les ponts, prennent des virages acrobatiques. Kotoko avait peur mais il aimait cette glissade sans fin.
On ne voit pas Kotoko car il est passé trop vite...
La glissade, pourtant, se termina. Kotoko avait accroché quelques roseaux à ses épines, quelques feuilles de fougères aussi. Mais il s’en était sorti sans égratignures. Et lorsque le Rieu Pourquié rejoignit l’Orb, le fleuve qui court vers la mer Méditerranée à travers le Languedoc, Kotoko se sentit rassuré. Il gagnerait bientôt un bourg et pourrait sortir de l’eau. C’est ce qu’il fit à Colombières. Vite il s’engouffra sous un fourré et entreprit de se sécher. A peine sec, il s’endormit, épuisé par la descente sur les eaux du torrent. Epuisé comme les enfants quand ils ont beaucoup joué.
Le Mont Caroux au pied duquel coule l'Orb, Haut-Languedoc
19:44 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : languedoc, rieu pourquie, orb |
La marquise à Grignan
Grignan, le 25 mars 1681
Ma toute bonne,
Je ne devrais plus vous écrire puisque nos cœurs sont enfin rassemblés depuis quelques jours. Seule une contrainte insurmontable me conduit à prendre la plume.
Mon voyage polonais a pris fin à Grignan, votre demeure en Provence depuis quelques années, depuis votre mariage avec le comte de Grignan, mariage qui m’a coûté bien du chagrin. Non pas que votre époux me déplaise. Bien au contraire. Mais le château de Grignan se trouve à plus de deux cents lieues* de Paris et je fus fort aise lorsque La Ventière m’apprit à notre départ de Venise que, pour gagner le royaume de France, nous passerions par le col du Montgenèvre dans le massif des Alpes. Empruntant ainsi l’antique via Domitia des Romains et sans doute le chemin emprunté par Hannibal pour franchir ces montagnes avec ses éléphants…
Trêve de pédanterie historique, de notre périple de Venise aux Alpes je dirai peu de choses tant il fut rapide. Je citerai cependant nos haltes à Padoue, Ferrare et Mantoue. A Turin nous fûmes délicieusement reçus par le duc de Savoie. Mais la hâte que j’éprouvais d’enfin vous serrer dans mes bras faisait que mon esprit était ailleurs et que toutes ces réceptions me lassaient. Vous me connaissez et vous savez mon goût pour le calme et la tranquillité. Ce qui ne fut pas le cas depuis des semaines, brinquebalée que je fus depuis Paris jusqu’à Varsovie et de là vers Venise. A voyager trop longtemps, ne risque-t-on pas de perdre son âme ? Notre cerveau n’est-il point incommodé par tout ce qu’il voit et tout ce qu’il entend. Ne peut-il pas finir par déborder comme une jarre trop remplie ? Heureusement Dieu nous a dotés d’une cervelle suffisamment faible pour qu’elle oublie les deux tiers de ce qu’elle perçoit… Et bien malheureux doivent être ceux qui ne peuvent point oublier ! Quel fatras horrible doit encombrer leurs méninges !
De Turin nous escaladâmes le fameux col de Montgenèvre avec notre brave jument Nyctalope en tête d’équipage, non pas qu’il fit nuit mais parce qu’elle a le sabot très sûr par les chemins escarpés. Nous laissâmes derrière nous Briançon, Gap et Sisteron. Mais j’insistai auprès de La Ventière pour que nous fassions une halte au monastère de Ganagobie. Jean de la Ventière n’eut point à le regretter car les moines nous firent un accueil charmant de dévotion. De ce lieu austère, le regard embrasse un horizon immense jusqu’aux hauteurs enneigées des Alpes. Le lendemain nous filâmes vers Apt et remontâmes vers le nord avant que je n’aperçoive enfin votre domaine. Mon cœur se mit à bondir.
Est-ce l’excès d’émotion ? Sont-ce les fatigues de ce long périple qui prenait fin ? Quoi qu’il en soit, je me retrouvai soudain sans voix. Impossible d’émettre un son. Je me crus ensorcelée. Moi qui avais tant à vous conter, je ne pouvais vous adresser un seul mot. Il ne me restait qu’à vous écrire. J’espère que tout le miel que vous me faites avaler produira de l’effet sur mes cordes vocales. Et puis, il me reste ma plume et surtout le plaisir de vous voir et de vous entendre et de vous serrer contre mon cœur. Nul doute que ce remède sera le meilleur. Et si mon corps demeure trop meurtri par tous les cahots qu’il a subis, le comte de Grignan m’a promis de me conduire à Balaruc près de l’étang de Thau. Il tient pour assuré que les eaux qui sourdent dans ce petit village ont le pouvoir de guérir les perclus et les endoloris. Nous verrons bien. La perspective de reprendre la route ne m’enchante guère. Mais si la guérison est à ce prix…
Je ne vous embrasse point puisque votre joue est contre la mienne...
*Environ 4 kms
15:40 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marquise de sevigne, alpes, ganagobie, grignan, balaruc |