31/03/2014
Paris et la bicyclette
"A Paris, le vélo s'enracine."
Seul commentaire pour ce cliché pris dans l'enceinte de la Cité internationale universitaire de Paris, près de la maison de l'Arménie.
11:42 Écrit par Jean Julien dans Écouter, regarder, écrire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : vélo, bicyclette, paris, cité internationale, maison de l'arménie |
30/03/2014
Réclames
Depuis quelques semaines, je suis chaque jour contrarié par deux publicités qui passent sur les ondes de France-Inter et sont, à mon avis, contre-productives.
L'une pour (ou contre ?) le Fonds pour la recherche médicale : des voix, qui ont l’air de s’en foutre totalement, énumèrent une liste infernale de maladies et provoque un effet repoussoir. On a le sentiment qu’on ne pourra pas échapper à l’une ou à l’autre (ou à l'ensemble...) de ces pathologies…
L'autre pour le Comité catholique contre la faim (CCFD) qui donne une fois de plus une vision misérabiliste de l'Afrique et du Brésil (Pourquoi ce pays ? Pourquoi pas d’autres d’Amérique du Sud ?). Le ton employé est en même temps arrogant : « Je reviens de voyage, je n’ai vu QUE des choses horribles telles la guerre et la sécheresse… ». Bref encore une réclame qui ne donne aucune envie de contribuer.
En interpellant les auditeurs par une présentation négative, ces pubs ratent leur cible. L'Afrique n'est pas seulement un champ de ruines en guerre ravagé par la sécheresse. Certes certains pays connaissent des conflits, certaines zones manquent de pluie. Mais je me rends assez souvent sur ce continent pour savoir que beaucoup de pays sont en paix, progressent à leur rythme et ne connaissent pas la sécheresse. Et au lieu de laisser entendre qu'on passera tous par le cancer, l’Alzheimer et autres joyeusetés, on ferait mieux de parler de la recherche qui avance... Ce qui paradoxalement est l’objet du Fonds, mais cet objet est occulté par l’accroche maladroite.
Bref on ferait mieux de présenter le verre à moitié plein au lieu de celui à moitié vide. Mais je crois que la tendance est au verre totalement vide... Et au négatif. Par principe. C’est tendance. Et on s’étonne que les Français n’aient pas le moral !
11:12 Écrit par Jean Julien dans Billets d'humeur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pubs, france-inter, ccfd, fonds pour la recherche médicale, afrique, brésil, maladies, sécheresse, guerres |
18/03/2014
Great expectations
Je publie aujourd'hui la centième note de mon blog. C'est un petit événement ! Vous êtes très nombreux en ce mois de mars à rendre visite au blog de Jean Julien. Je remercie sincèrement tous les lecteurs qui m'encouragent. Etant donné les nombreuses pages désormais accessibles, je vous conseille de naviguer en utilisant les catégories. Vous retrouverez ainsi plus facilement les textes regroupés par thématiques ou les nouvelles par chapitres comme Les amants de Lamalou. Dans ces catégories, les textes apparaissent selon leur ordre de publication. Ce sont donc les plus récents qui sont visibles en premier.
Avez-vous eu le bonheur de regarder sur Arte l’adaptation réalisée par la BBC du roman de Charles Dickens Great expectations (Les grandes espérances), le jeudi 6 mars 2014 ?
Si vous avez raté ce rendez-vous, vous pouvez vous rattraper en visionnant les trois épisodes en VOD (« video on demand » ou vidéo à la demande) sur le site internet d’Arte, et ce pour une somme modique. Vous pouvez aussi acheter en DVD le film de 1946 réalisé par David Lean. Il vient de bénéficier d’un rematriçage (ou remastérisation) et il en ressort propre comme un sou neuf.
Vous devez vous demander pourquoi je cherche à promouvoir ces deux adaptations des Grandes Espérances de Dickens. Et pourquoi pas celles d’Oliver Twist ou du Mystère d’Edwin Drood, également diffusées sur Arte ?
C’est que mon rapport à cette œuvre est très personnel et très ancien. Dès que j’ai vu les premières images de la série de la BBC ce jeudi soir du 6 mars dernier, la course de Pip dans la brume des marais, j’ai su que j’avais retrouvé l’histoire qui m’avait tant marqué enfant et que je n’avais jamais côtoyée depuis. J’ai su que bientôt surgirait cette vieille demeure et sa salle à manger envahie par les toiles d’araignées et la poussière, inchangée depuis des années, depuis le mariage avorté de la propriétaire des lieux. Cette fois les images de la BBC sont en couleur. Mon souvenir est en noir et blanc. A la fin du récit, Pip devrait dévoiler ce lieu, le rendre à la lumière et au temps. Du moins je l’espère. Le réalisateur de la BBC en a décidé autrement, n’ayant pas suivi le même scénario que celui de David Lean.
Les images en noir et blanc et le scénario de ma mémoire, je les retrouve quelques jours plus tard grâce au DVD consacré au film de 1946, celui de Lean que j’ai vu entre 1956 et 1958 environ. Certaines de ces images ne m’ont jamais quitté depuis mon enfance. Mais j’avais oublié de quel film elles venaient, à quelle histoire elles étaient mêlées. Je savais simplement que j’avais visionné ce film en compagnie de mon père qui organisait des séances de cinéma dans les locaux de l’école où il exerçait en tant qu’instituteur dans les années 1950. Nous étions assis sur des bancs, l’écran était un simple drap blanc, les adultes se joignaient aux élèves, il fallait changer de bobine toutes les 15 ou 20 minutes. Tout cela m’enchantait. Le hasard a fait que j’ai retrouvé ce 6 mars Les grandes espérances à la télévision en compagnie de mon père. Il m’a avoué n’avoir aucun souvenir de ce film, ni de sa projection.
Mais pourquoi ai-je retenu avec autant de précisions ces images-là et oublié le titre du film ? Alors que j’ai gardé le souvenir précis de deux autres longs métrages que j’ai découverts dans les mêmes années, Quand passent les cigognes et L’auberge rouge, j’y reviendrai. Mais cette pièce immense et figée dans le temps, ce jeune homme qui vient la dévoiler, l’insérer à nouveau dans le fil des jours, voilà ce qui m’avait marqué de manière indélébile.
J’ai interrogé des spécialistes du cinéma à la recherche d’un titre. En vain, ils n’ont pas su me répondre. Ma description ne leur évoquait rien. Le hasard a fait que pendant plus de 50 ans je n’ai pas croisé l’œuvre de Dickens ni par écrit ni en images. Jusqu’à récemment où le mystère enfin se dévoila et ce fut une grande joie pour moi. Je retrouvai Pip, le héros qui raconte sa vie d’enfant puis de jeune homme, Pip auquel je m’étais fortement identifié. Je retrouvais les scènes fantastiques dans les marais, dans les rues de Londres, sur la Tamise et dans la demeure de Miss Avisham, figée dans le temps, figée dans l’obscurité. Roman d’initiation, le texte de Dickens est d’une très grande qualité. Et pour qu’il m’ait touché à ce point, pour qu’il ait laissé en moi cette marque indélébile, c’est qu’il a sollicité des zones très profondes de mon cerveau. Comme tous les écrivains talentueux, Dickens atteint notre inconscient et lui parle.
Enfant, je fus troublé par cette Miss Avisham qui ne sort plus de chez elle depuis son mariage raté, qui est toujours habillée de sa robe de mariée qu’elle n’a jamais quittée depuis 20 ans, qui n’a pas voulu modifier quoi que ce soit à l’aspect de sa demeure, depuis ce jour où son fiancé a choisi pour l’abandonner. Miss Avisham qui vit figée dans son passé et s’y morfond. Près d’elle il y a Estella sa fille adoptive et Pip, le petit orphelin qui doit devenir forgeron. Près d’elle il y a la vie qui se développe. Miss Avisham ne sortira pas de son traumatisme. Elle n’y survivra pas. Mais quand Estella veut prendre le même chemin que celui de sa mère adoptive, se cloîtrer dans cette demeure, immobilisée dans le temps et dans l’obscurité, Pip vient arracher les vieux rideaux, secouer les nappes poussiéreuses, mettre à bas les vieilles pièces montées rongées par les souris. Avec la lumière, il apporte l’oubli, la réparation, la résilience comme on dit maintenant. En dévoilant cette pièce, il dévoile aussi la vraie personnalité d’Estella qu’il aime et qui va l’aimer. Great expectations, Les grandes espérances : toujours garder l’espoir même dans les heures les plus sombres. Ne pas se figer dans un passé blessant, ne pas être du côté de l’ombre mais du côté de la lumière.
Vous me direz qu’un enfant ne peut pas comprendre tout cela. Que je construis a posteriori ce discours. Je ne le crois pas. Certes, je n’avais pas décodé le sens de ces images avec des mots. C’est maintenant que j’ai revu le film de David Lean que je peux le faire. Je n’avais pas les mots mais j’avais compris le message que portent ces images, je l’avais entendu intuitivement. Sinon pourquoi cette salle à manger figée et soudain dévoilée, dépoussiérée par Pip, m’aurait-elle accompagné depuis si longtemps ? Je n’écris pas « hanté » mais bien « accompagné » car si ces images m’ont fait un peu peur, je les ai vues entre 6 et 8 ans, elles m’ont bien davantage subjugué. Oui, on peut arracher les rideaux, renverser les meubles poussiéreux et avancer dans la lumière.
L’identification de ces quelques scènes isolées et leur recollement dans leur matrice d’origine leur ont fait perdre du mystère. Sans doute, un peu seulement, pas davantage. Elles ont vécu si longtemps en moi ces images qu’il suffit que je les appelle, seules, pour les retrouver dans ma version première et unique. Et puis il y a maintenant une autre version plus claire, plus complète et plus construite. Les deux cohabitent, pour mon plus grand bien. Celle de l’enfant et celle de l’adulte. Great expectations, Les grandes espérances.
15:34 Écrit par Jean Julien dans Écouter, regarder, écrire | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : great expectations, les grandes espérances, dickens, lean, bbc, pip |
05/03/2014
Les deux m’as-tu-vu
Elle ne tient pas en place dans son fauteuil pendant que les musiciens entament la dernière partition du concert. Elle se fait de plus en plus chatte. Son homme est là, à sa droite, qui tente de se concentrer sur la musique. Elle s’éloigne de lui en se tordant vers sa gauche pour montrer qu’elle aussi écoute attentivement le trio qui se produit sur la scène. Les épaules basculées vers la gauche, la tête légèrement redressée vers la droite, elle fixe quelques instants les instrumentistes en évitant les têtes des spectateurs des rangées de sièges précédant la sienne. Elle en profite pour vérifier l’architecture du chignon qu’elle a rapidement monté au-dessus de sa nuque. Les épingles tiennent bien, un peu serrées peut-être, mais cela ira. Il n’a rien d’artistique ce chignon de cheveux blonds mais il sied bien à un dimanche après-midi d’hiver où, ma foi, il est de bon ton d’afficher un léger négligé. Le foulard enroulé autour du cou, le gilet de laine et les bottines de daim beige s’harmonisent parfaitement. Les lunettes également qu’elle remonte délicatement sur son nez à chaque changement de posture.
La pause vers la gauche dure peu. La musique de Fauré avivant ses sens, elle se tord à nouveau, cette fois pour appuyer son épaule droite contre l’épaule gauche de son homme, plus grand et plus large qu’elle. Il ne bouge pas. La musique le captive. Après quelques minutes passées dans cette posture, elle passe sa main droite dans le dos de son bienaimé, lui caresse les épaules, remonte vers sa nuque, la masse délicatement. Il tourne alors lentement la tête vers la gauche, sans perdre le fil de la mélodie de Fauré, et adresse à son amoureuse un léger sourire. Ses belles lèvres, surmontées d’une moustache grisonnante, produisent tout leur effet. Elle est ravie et ose se redresser câlinement pour lui susurrer quelques mots à l’oreille, qui n’ont sans doute guère à voir avec la musique de Fauré. Mais, qui sait ?
Satisfaite de cette victoire, elle se précipite dans la partie gauche de son fauteuil pour tenter de trouver à nouveau une position idéale d’écoute. Une petite vérification du chignon négligé s’impose, brève mais nécessaire. La position des lunettes est également assurée. Un regard rapide vers la salle… Elle n’y tient plus, elle se rue vers la droite de son siège, elle embrasse son homme, lui prend la main, lui caresse la cuisse. Il lui exprime sa satisfaction par un léger sourire, sans se détacher pour autant de la musique.
Le trio de Fauré est interminable. Quand donc les musiciens vont-ils attaquer le dernier mouvement ? Nouvelle manœuvre des épaules, basculées vers la gauche, torsion de la tête vers la droite. Le chignon est toujours en place, d'un négligé très élégant. Faudra-t-il une nouvelle teinture pour prolonger le brillant du blond vénitien ?
Derniers accords. Applaudissements. Elle se lève, enfin, pour se draper dans son magnifique manteau de peau, décalé par rapport à la salle peuplée de spectateurs peu attachés à leurs toilettes. Lui, il passe sa longue surveste de cuir avec l’assurance du mâle dominant. Du cuir italien à n’en pas douter, la souplesse, la coupe, tout y est. On sort des rangs en s’assurant que quelques regards se posent sur soi. Avant d’allumer son Smartphone ou son Samsung dernier cri, elle vérifie son maquillage en usant de la vitre du téléphone comme d’un miroir.
On sort de la salle, traverse le hall, s’engage dans le parc. Enlacés, on échange des baisers. Et on sombre dans l’obscurité vespérale de l’hiver parisien non sans se retourner une dernière fois pour guetter un regard admiratif ou envieux qui traînerait.
On a chacun soixante ans bien tassés. Mais, après tout, c’est la jeunesse du cœur qui compte n'est-ce pas ? Et il n’y pas d’âge pour les démonstrations amoureuses. Apparemment.
Que serait-on sans le regard des autres ? Que serait-on sans le reflet de son visage dans la vitre du téléphone portable ?
Maison Heinrich Heine
Cité internationale universitaire de Paris
Concert du Klaviertrio Würzburg
Dimanche 2 février 2014
16:17 Écrit par Jean Julien dans Écouter, regarder, écrire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : concert, fauré, m'as-tu-vu, téléphone portable, ciup, maison heinrich heine |