30/03/2014
Réclames
Depuis quelques semaines, je suis chaque jour contrarié par deux publicités qui passent sur les ondes de France-Inter et sont, à mon avis, contre-productives.
L'une pour (ou contre ?) le Fonds pour la recherche médicale : des voix, qui ont l’air de s’en foutre totalement, énumèrent une liste infernale de maladies et provoque un effet repoussoir. On a le sentiment qu’on ne pourra pas échapper à l’une ou à l’autre (ou à l'ensemble...) de ces pathologies…
L'autre pour le Comité catholique contre la faim (CCFD) qui donne une fois de plus une vision misérabiliste de l'Afrique et du Brésil (Pourquoi ce pays ? Pourquoi pas d’autres d’Amérique du Sud ?). Le ton employé est en même temps arrogant : « Je reviens de voyage, je n’ai vu QUE des choses horribles telles la guerre et la sécheresse… ». Bref encore une réclame qui ne donne aucune envie de contribuer.
En interpellant les auditeurs par une présentation négative, ces pubs ratent leur cible. L'Afrique n'est pas seulement un champ de ruines en guerre ravagé par la sécheresse. Certes certains pays connaissent des conflits, certaines zones manquent de pluie. Mais je me rends assez souvent sur ce continent pour savoir que beaucoup de pays sont en paix, progressent à leur rythme et ne connaissent pas la sécheresse. Et au lieu de laisser entendre qu'on passera tous par le cancer, l’Alzheimer et autres joyeusetés, on ferait mieux de parler de la recherche qui avance... Ce qui paradoxalement est l’objet du Fonds, mais cet objet est occulté par l’accroche maladroite.
Bref on ferait mieux de présenter le verre à moitié plein au lieu de celui à moitié vide. Mais je crois que la tendance est au verre totalement vide... Et au négatif. Par principe. C’est tendance. Et on s’étonne que les Français n’aient pas le moral !
11:12 Écrit par Jean Julien dans Billets d'humeur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pubs, france-inter, ccfd, fonds pour la recherche médicale, afrique, brésil, maladies, sécheresse, guerres |
13/05/2013
La parlure, la taisure, l'Afrique, l'Europe...
Je reprends ici des passages d’un entretien entre des journalistes du Nouvel-Observateur (n° 2531 du 9 mai 2013) et Henning Mankel, auteur suédois qui vit la moitié de l’année au Mozambique. Il a écrit de nombreux romans policiers dont le personnage central est l’inspecteur Wallander. Au-delà de ses intrigues toujours passionnantes, Mankel sait dépeindre son pays, la Suède, avec beaucoup de finesse. J’ai eu envie de vous proposer quelques-unes des idées qu’il développe dans cet entretien car elles résonnent positivement dans ma cervelle et méritent qu’on les médite.
Je reprends donc ci-dessous les propos de Mankell :
(Début de citation) « L’éducation
Je me perçois comme un enfant des Lumières, ce cadeau de la France au reste du monde. Je vis dans la tradition de Diderot et de l’Encyclopédie. Les philosophes des Lumières cherchaient à propager le savoir pour que les gens se comportent d’une manière plus rationnelle. C’est ce que je crois : le savoir est la clé de tout et fait du monde un endroit où il fait mieux vivre.
Un Suédois en Afrique
J’ai toujours eu le sentiment de voir le monde de l’intérieur parce que c’est la place que je me suis donnée. Pourquoi tant de gens ont-ils le sentiment d’être des marginaux ? Parce qu’ils n’apprennent pas à écouter. La seule manière de s’intégrer est d’écouter les autres au lieu de parler sans cesse de soi-même. L’Europe, à la différence de l’Afrique, est devenue un continent de bavards : nous parlons tant et nous écoutons si peu…
Homo sapiens/Homo narrans
Pour qu’une histoire existe, il faut deux personnes : un narrateur et un auditeur. Je suis très souvent dans le rôle du narrateur, mais je suis également une bonne oreille, et c’est aussi là que les récits prennent leur source. L’être humain appartient à la seule espèce vivante qui possède cette capacité : il peut vous raconter ses peurs, ses rêves et vous pouvez lui raconter les vôtres en retour. C’est ce qui fait de nous des êtres humains, peut-être plus des « Homo narrans » que des Homo sapiens.
Etre curieux des autres
C’est l’un de nos traits de caractère : nous sommes curieux et nous savons prendre des risques. Nous avons envie de découvrir ce qui se trouve de l’autre côté de la montagne. La plupart des animaux préfèrent rester dans un endroit unique et familier. Pas nous et c’est ce qui différencie l’être humain des animaux.
L’Europe, l’Afrique
L’Afrique m’a donné un regard plus lucide sur l’Europe. Je peux désormais voir avec davantage de recul ce qui va bien sur notre continent, notamment en ce qui concerne notre système politique qui est le meilleur au monde. Je n’en connais pas qui le surpasse même s’il est toujours fragile. Parallèlement, le recul me permet aussi de mieux cerner les problèmes. C’est pour cela que je dis que l’Afrique a fait de moi un meilleur Européen. »
Fin de citation
Écouter pour mieux raconter ensuite. La taisure et la parlure, comme dit Catherine Lepron. La taisure, la période de silence au cours de laquelle s’accumule la matière et qui précède celle de l’expression, la parlure. Et aussi savoir s’éloigner pour mieux comprendre, mieux "voir" notre environnement le plus proche. Ce silence et ce recul sont indispensables dans tout travail de création. C’est ce que je voulais expliquer à ceux qui me demandent pourquoi j’écris peu en ce moment.
09:43 Écrit par Jean Julien dans Écouter, regarder, écrire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : écriture, création, mankell, suède, afrique, europe, lumières |
14/04/2013
Durbar d'un chef Nzema au Ghana
Les photos que je publie ont été prises au début des années 1980 à Atuabo, sur la côte à l’ouest du Ghana, près de la frontière avec la Côte d’Ivoire. Kwame Nkrumah, premier président du pays, était originaire de cette région. Il y est enterré.
J’avais pu participer à un durbar ou festival d’un chef Nzema, population qui occupe cette partie du Ghana depuis des siècles. Qu’est-ce qu’un durbar ? L’origine du mot est incertaine. Peut-être s’agit-il d’un mot indo-persan désignant « a ruler’s court » ou cour d’un chef. Nous rappelant ainsi combien l’Empire colonial britannique était vaste et comment les mots y circulaient. Le Ghana ou Gold-Coast (Côte de l’Or) en faisait partie, bordé par des colonies françaises (l’actuelle Côte d’Ivoire à l’ouest et le Burkina-Faso au nord) et par une colonie allemande à l’est, le Togo, devenue française à la fin de la première guerre mondiale après la défaite des Allemands. Lorsque je travaillais dans ce pays de 1983 à 1985, le souvenir de cette colonisation était encore présent dans la mémoire de quelques vieillards. Les très fréquents séjours de Franz Josef Strauß, alors président de la Bavière et décédé en 1988, ravivaient ce souvenir. Ils venaient au Togo à l’invitation de feu le général Eyadema, alors président du pays.
Au Ghana, un durbar suscite un vaste rassemblement de population. C’est le plus souvent un rendez-vous annuel. Il a pour but de ressouder les liens entre les membres d’une même communauté et leur chef. Les Britanniques, contrairement aux Français, s’étaient appuyés sur les chefferies traditionnelles pour administrer leurs colonies. C’est ce qu’on appelait « the indirect rule » (le gouvernement indirect). Dans ce pays indépendant depuis 1957, les chefs ont conservé certaines prérogatives au niveau local telle la justice de paix (règlement des contentieux de propriété, problèmes liés à des héritages par exemple). Ils ont compétence sur les terres de leur domaine/village et peuvent en attribuer l’usage. Ils exercent aussi une fonction de conseil.
Un durbar débute de nuit, la veille de la fête officielle. L’alcool de vin de palme, l’akpeteshie, coule à flot et les festivaliers passent une nuit blanche à danser au son des percussions et des balafons (ou xylophones). Certains se maquillent, se travestissent comme nous le faisons à l’occasion de nos carnavals. Ils incarnent des esprits, se pensent parfois réellement possédés tant l’alcool est fort et les drogues locales sont puissantes (le hachich notamment).
Après les libations de la nuit traversée par de fantômatiques créatures, place au grand défilé. La procession revient de la plage où l'océan a été célébré. Les sujets du chef sont bénis. Le chef lui-même arrive sur son palanquin. Un page l'accompagne. La fête est à son comble.
En publiant ces photos, issues de diapositives récemment numérisées, je n’entends pas propager la nostalgie d’une Afrique qui aurait irrémédiablement disparue. L’Afrique d'antan est toujours présente. Pas dans le sens d’une régression ou d'un immobilisme. Ni dans celui d’une malédiction qui condamnerait cette région du monde à vivre en dehors de l’histoire comme certains osent le proférer.
Je souhaiterais au contraire expliquer qu'en Afrique les traditions perdurent sans pour autant empêcher la modernité d'avancer. Le téléphone portable y a fait une poussée fulgurante en une décennie. L’internet également. Il y a 30 ans, il était impossible de téléphoner au Ghana. Le réseau à fil avait été réduit à néant. Que de chemin parcouru en si peu de temps.
Ces rapides progrès technologiques ont induit des évolutions sociologiques et économiques dont on ne mesure pas encore toute la portée. La population ghanéenne vit dans un système cumulatif où les traditions lui servent d'ancrage alors qu’elle avance vers un autre monde. Les traditions stabilisent l’émergence du second qui est encore instable et changeant. Certains Ghanéens sont plus avancés que d’autres. Là aussi il y a des inclus de plain-pied dans les deux mondes. Et puis il y a les exclus et pire encore les reclus. Certaines églises évangélistes, d’origine nord-américaines, l'ont bien compris qui proposent une religion festive et rassurante aux populations récemment urbanisées et les accompagnent financièrement à l’image de ce que font les Frères Musulmans en terre d’Islam.
Voyager en Afrique, c’est bien voyager dans le temps : le moderne y côtoie l’ancien demeuré vivant. L'un n'excluant pas l'autre.
16:33 Écrit par Jean Julien dans Ghana | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : ghana, nzema, durbar, festival, afrique |
16/04/2012
Le papillon de Pram-Pram
Ouagadougou est déjà loin. L’autocar roule à bonne allure. Kotoko a décidé de rentrer confortablement dans son pays natal, le Ghana, et a acheté un billet Ouagadougou – Accra aux guichets de la compagnie de transport « Diplomat » (en anglais) qui assure le trajet entre les deux capitales. Oubliés le dos de la cigogne, les taxis-brousse brinquebalants et la charrette de « L’âne », adieu les nuages de poussière, désormais Kotoko voyage au frais dans un grand autocar climatisé. Les grands voyageurs savent qu’à l’issue d’un périple de plusieurs milliers de kilomètres par la route, ce sont les derniers kilomètres qui paraissent les plus longs. La hâte d’arriver à bon port grandit, l’impatience de revoir ses proches également.
Paga, Tamale, Kumasi et enfin Accra, le terminus de l’autocar « Diplomat ». Kotoko reconnaît à peine la grande ville qui se transforme sans cesse. Les immeubles sortent de terre aussi vite qu’une taupe de son trou. Les boulevards s’élargissent. Le tohu-bohu des milliers de voitures qui encombrent Accra n’enchante guère Kotoko qui se dépêche de rallier Tema, le grand port de commerce situé à quelques kilomètres à l’est de la capitale. Là, l’air est plus frais, parfois traversé d’une odeur de poisson qui sèche, mais respirable. Kotoko se précipite chez son ami Charlie, le vieux gecko qu’il a connu voici bien des années.
Charlie, le vieux gecko
- Bonjour Charlie ! Comment vas-tu ? Je suis enfin de retour d’Europe. J’ai tant de choses à te raconter…
- Bonjour Kotoko. Je te sens bien fatigué. Tu as parcouru tant de kilomètres. Tu dois avoir la cervelle pleine de souvenirs. Sache qu’ici, rien n’a beaucoup changé. Certes les enfants ont grandi et ne reviennent à la maison que pour les vacances scolaires. Mais mon patron est toujours fidèle à notre petite cour et nous menons tous les deux une vie bien calme. L’âge venant, c’est agréable de prendre son temps !
- Charlie ! J’ai quelque chose à te demander. Allons tous les deux à Pram-Pram, j’ai envie de revoir la plage où j’ai passé tant de bons moments.
- D’accord. Prenons la vieille mais vaillante Suzuki que mon maître a réparée. Elle nous conduira bien jusqu’à Pram-Pram !
Le port de pêche de Tema
Après un rapide détour par le port de pêche de Tema, Charlie et Kotoko empruntent la grand’ route qui file jusqu’à Lomé au Togo. Après quelques kilomètres, ils tournent à droite et aboutissent sur la plage de Pram-Pram où les pirogues attendent de prendre la mer.
Les pirogues de pêche de Pram-Pram
- Ah ! Mon cher Charlie ! Comme nous sommes bien, ici, au bord de l’océan. La brise souffle dans les grands cocotiers. Les embruns nous rafraîchissent.
- Kotoko, que dirais-tu d’un bon poisson grillé ?
- Merci Charlie. Quelques sauterelles et quelques mouches me suffiront. Je suis un insectivore incorrigible ! Même si de temps en temps je m’offre un escargot.
Nos deux amis devisent en flânant sur la plage lorsque Kotoko retrouve un de ses vieux amis : le papillon de Pram-Pram, Butterfly.
Détail d'une tapisserie de Roger Bezombes, fondation Lucien Paye, Cité universitaire internationale, Paris
- Papillon ! Papillon ! dit Kotoko à l’adresse de son ami ailé.
- Kotoko ! Tu es de retour ! Je pensais ne jamais te revoir ! Tu ne donnes jamais de nouvelles.
- Comment aurais-je pu t’oublier, mon cher papillon, mon cher Butterfly ? Toi qui me pris sur tes ailes et me promenas dans les airs pour la première fois !
Nos trois amis, Charlie le gecko, Kotoko le hérisson, et Butterfly le papillon, s’embrassent avant de partir fêter leurs retrouvailles.
17:56 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ghana, accra, tema, pram-pram, gecko, papillon, afrique |