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05/01/2012

2012

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Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné (1626-1696), vers 1665

Sans signature, Paris

 

Pour aborder 2012 sous de bons auspices et pour accompagner mes voeux, le portrait de mon inspiratrice que vous pouvez contempler au musée Carnavalet - Histoire de Paris.  (Ma toute) bonne année à tous !

12:03 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sevigne, paris, carnavalet |

28/12/2011

La marquise de Sévigné à Paris

 

A Paris en ce 15 mai 1681

Ma toute bonne,

Ma joie est grande d’être en repos depuis deux semaines. Toutes ces lieues parcourues par monts et par vaux m’avaient harassée et j’étais fourbue comme une vieille jument qui aurait trop tiré la charrue. L’air de Paris en ce joli mois de mai me convient. L’hôtel de Carnavalet est  bien paisible. Mes amis passent deviser et me rapportent les derniers bruits de la cour qui s’agite à Versailles, loin d’ici. Les maîtresses de sa Majesté, les frasques de Monsieur, le frère du roi, bref tout ce tintoin qui me fatigue les oreilles mais qui doit parvenir jusqu’à moi si je ne veux pas mourir idiote et paraître ridicule auprès de mes visiteurs. Il me faut tenir mon rang. Détenir la dernière rumeur me confère une auréole, qui n’est certes pas de sainteté, mais qui élève mon statut. Il me plaît parfois de lancer moi-même ces rumeurs, par défi, pour suivre leur vie et examiner sous quelle forme modifiée elles me parviendront en retour. La Ventière prend un grand plaisir à pister ces petites et modestes comètes dont la trajectoire transforme la voilure.  

Mais je m’égare, ma plume va comme une étourdie*. Soyez rassurée, vous ma fille si honnête, je ne sombre jamais dans la médisance. Ma pudeur me l’interdit et notre religion la proscrit. Je ne peux cependant pas m’empêcher de vous relater ce qui fit éclater de rire tout ce qui compte en la capitale. La Ventière s’en fut à Versailles voici quelques jours pour rendre compte de son périple polonais et faire état au roi des relations du royaume de France avec Venise. Je ne suis pas au fait de ces secrets d’État et me garde bien d’interroger Jean à ce sujet. Quand il revint de la cour, il me rapporta que Versailles est en perpétuel chantier et que les courtisans éprouvent maintes difficultés à se loger. Certains s’entassent dans quelques pièces mansardées au mépris de leur rang et du confort que leur sang devrait leur réserver. Ils préfèrent laisser leurs châteaux vides, livrés aux rats et aux araignées, que de se tenir loin du Roi et des faveurs qu’il peut leur octroyer. C’est ainsi.

La Ventière revint donc de Versailles fort excité par une altercation dont il fut le témoin dans la grande galerie des glaces où les miroirs magnifient la lumière en la multipliant  et où tout à chacun peut contempler sa propre fatuité. Deux petits marquis, de basse extraction mais de grand caquet,  piaillaient comme deux poules en train de pondre. Un rassemblement s’opéra rapidement autour des deux courtisans. Il s’avéra que l’un des deux avait traité l’autre de « belaou ». « Belaou, belaou ! Mais pourquoi me traitez-vous ainsi, jeune impudent » disait le plus âgé au plus jeune. « Oui, belaou ! Et je pèse mon mot. » rétorqua le benjamin. Les curieux assemblés ne comprenaient pas qu’on puisse se plonger dans un tel état pour un mot dont le sens leur échappait totalement. La Ventière qui a, comme vous le savez ma toute bonne, sillonné le monde, éclata d’un rire inextinguible. « Belaou ! » Il n’avait pas entendu cet adjectif depuis bien longtemps. Depuis une traversée entre Marseille et Tunis sur une galère du Roi où sévissait une engeance de chiourme aussi cosmopolite que la cargaison des animaux de Noé sur son arche. Parmi eux quelques barbares raflés sur les côtes de l’Afrique du Nord. Qui s’exprimaient selon La Ventière dans un arabe mâtiné de berbère. C’est sur cette galère qu’il avait entendu les rameurs de la chiourme s’invectiver avec ce « belaou ». En s’approchant de l’un d’eux, qui semblait moins sauvage que les autres, il lui demanda ce que ce mot étrange signifiait. Le barbare, ne parlant pas un traître mot de notre langue, fit avec sa main droite fermée un signe arrondi autour de son nez. « Ivre, saoul ! »  comprit la Ventière. Et les deux petits marquis utilisaient à leur tour cet adjectif qui avait voyagé jusqu’à la cour on se demande comment. « Messieurs, messieurs, du calme ! » dit Jean. « Vous seuls connaissez le sens de « belaou ». L’avez-vous entendu ce mot du côté de Marseille ou de Toulon ? ». « Oui, répondit le benjamin. Sur les quais de Toulon où quelques galériens pris de boisson se battaient. » « Alors, brisons-là ! Il n’y a point d’offense quand le mot et la chose qu’il désigne ne sont point assemblés dans l’esprit des auditeurs. Si je dis : « Bela fou mouk, chouya ! » Personne ne me contredira.  Alors que ces quelques mots sont fort impertinents en tunisien. Brisons-là messieurs. Ce ne sont qu’enfantillages indignes de votre rang. »

Les deux compères partirent en riant vers le grand salon d’Hercule où quelques tables de jeux avaient été disposées. La Ventière avait apaisé cette querelle naissante qui l’avait fort diverti et qu’il me conta par le menu. Il en profita pour m’informer d’une nouvelle ambassade que le Roi lui avait confiée. A Tunis, ma toute bonne. Sur la côte des barbares ! Il en est ravi car il aime l’aventure. Je le suis moins car il me propose de l’accompagner… Non pas que sa compagnie m’ennuie bien au contraire. Mais traverser la Méditerranée ! A mon âge ! Nous verrons. Je termine cette missive au plus vite pour ne point rater la poste de Provence.

 

Je vous embrasse comme je vous aime, tendrement.

 

 

 

*Formule empruntée à la vraie marquise…

 

01/10/2011

La marquise à Venise, "ancora..."

 

Venise, le 28 février 1681

 

Ma toute bonne,

Décidément, l’air de cette ville me réussit. Jusqu’à un certain point, car n’oubliez pas que nous sommes sur des îles au milieu de la mer et l’humidité qui règne ici en reine me cause quelques douleurs aux articulations. Certains matins mes pauvres genoux sont aussi rouillés que les poulies d’un vieux gréement. Je fais contre mauvaise fortune bonne grâce et me dis que ces maux ne sont point mortels. Bien des habitants de Venise meurent de maladies mystérieuses importées des pays lointains où ses bateaux vont commercer.  La vie et la mort se côtoient ici  avec une proximité saisissante. Le plaisir et la vertu également.

Ce cher la Ventière m’a entrainée dans un quartier où, ma toute bonne, je me serais crue aux portes de l’enfer. Figurez-vous des femmes par centaines, qui penchées aux fenêtres de leur maison, qui penchées sur un pont dont le nom à lui seul résume l’activité de ce quartier de perdition, le « ponte delle Tette »… Je ne vous traduirai point ce mot italien mais vous devinerez que ces créatures exhibent avec malice ce qu’elles devraient cacher avec le plus grand soin. Elles escomptent attirer les hommes qui de toutes conditions viennent ici rôder à la recherche du plaisir. Je ne suis pas prude. Moi aussi j’ai su attirer les représentants du sexe fort. Je sais d’expérience que nos attributs, certes dissimulés comme le veut la décence mais aussi légèrement dévoilés, constituent quand ils sont fermes un appât auquel la gent masculine est fort sensible. Mais dans ce quartier, les pauvres filles se dépoitraillent et se parent de coiffures extravagantes d’un rouge démoniaque pour attirer le chaland.

Il est vrai que cette ville regorge de voyageurs, de marins et de marchands qui encore célibataires ou loin de leurs épouses sont malgré tout soumis aux lois de la nature et qui, après de longs voyages sur la mer… Je m’arrête car je m’égare encore une fois. Vous sentez bien mon trouble devant ce commerce dont j’avais eu vent à Paris. Sa franche exposition dans ce quartier de San Polo, les cris des racoleuses, leurs mots doux envoyés aux passants, me font voir d’un autre œil les femmes qui pratiquent ce négoce. Ne dit-on pas ici que l’une d’elles était si célèbre au siècle passé que sa maison bruissait des pas des célébrités de la ville et que lors de la visite de notre bon roi Henri III, Veronica Franco, c’était son nom, fut portée nue dans un plat jusqu’à notre souverain lors d’un banquet mémorable, en juillet 1574 si ma mémoire est bonne… On sait que notre Henri le troisième n’était guère attiré par le beau sexe et préférait la compagnie des gentilshommes. On dit aussi qu’il ne s’ennuya point à Venise et qu’il regagnait le palais Foscari à l’aube bien fatigué… Je m’égare à nouveau.

Toutes ces femmes ne tirent pas leur épingle de ce jeu. Certaines sont plus habiles que d’autres. J’eus ainsi le loisir d’observer une pauvresse qui avait beau s’exhiber sous toutes les coutures dans une robe rouge, rien n’y faisait. Personne ne la regardait, on l’aurait dite transparente. L'attitude grotesque de cette « vecchia carampana » (je ne traduirai point)faisait fuir les passants. Venise, vous le comprenez, est comme beaucoup de ports un concentré d’humanité. Et pour vous réconcilier avec cette dernière sachez que Veronica Franco (celle que l’on promena sur un plat pour amuser Henri III) fonda une maison du secours. Elle aida celles qui exercent les métiers du plaisir, si j'ose ainsi m’exprimer, à rejoindre les chemins de la vertu par une éducation stricte et à trouver les voies du mariage au terme d’une retraite édifiante.

Avant que je ne l’oublie, sachez que j’ai reçu des nouvelles de mes amis de Paris. Le comte de Rambuteau a enfin aménagé dans son nouvel hôtel particulier avec le prince Frylvera de Cotonou. Il paraît que tout dans cet hôtel n’est que beauté. Le comte et le prince ayant décidé de monter une ménagerie, ils s’entourent d’animaux. Des chiens notamment, longs et bas, et ils me demandent si Nyctalope peut rejoindre leur écurie. Je leur en ferai la surprise.

La Ventière commence à me préparer à l’idée qu’il va falloir quitter ce paradis. Je ne sais si je suis atteinte de procrastination  mais je penserai demain à ce nouveau périple qui me conduira vers vous, ma toute bonne, que je pourrai enfin serrer contre mon cœur.

Je vous embrasse comme je vous aime. Je file à un bal masqué.

 

 

16:02 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : venise, sevigne, plaisir |