20/07/2011
Les endormis de Montsouris
Pour mon petit voisin, Julien, au silence malicieux.
Kotoko dort.
Kotoko est très fatigué. Il a fait un très long voyage depuis la Mauritanie où il a rencontré son ami Zouzal le chamelon.
Kotoko est arrivé à Paris après des jours et des jours de transports en tous genres : en camion, en autocar, en bateau, en train et à quatre pattes ! Mais il a fini par arriver à Paris et a décidé de s’installer dans le grand et beau parc Montsouris. Il y a trouvé du calme, de beaux et grands arbres et des grandes pelouses où il peut batifoler la nuit en toute liberté quand le grand parc a fermé ses grilles.
La nuit qui a suivi son arrivée dans le parc, Kotoko a dormi profondément tant il était fatigué. Les chauves-souris qui l’ont alors survolé l’ont même entendu ronfler !
Dès la deuxième nuit, Kotoko reprend son activité nocturne et explore le parc Montsouris. Soudain il s’arrête au pied d’un arbre immense dont le tronc s’appuie sur d’énormes racines. En approchant à pas feutrés de ces racines, Kotoko aperçoit un étrange personnage endormi. Il s’en approche avec précaution et entend une très faible respiration.
Il contourne les racines et soudain c’est un hippocampe qu’il devine, un cheval de mer endormi là dans la nuit du parc Montsouris.
Et, toujours curieux, Kotoko se penche ensuite sur le visage grave d’un vieil homme lui aussi endormi…
Comment ces trois étranges personnages sont-ils arrivés dans le parc ? Pourquoi dorment-ils ainsi ?
C’est alors que Kotoko rencontre un autre animal nocturne, une chatte qui s’appelle Marotte et qui connaît le parc comme ses puces. Marotte explique à Kotoko qu’il y a très, mais alors très très longtemps, le parc Montsouris n’était qu’une colline peuplée de moulins où les agriculteurs venaient moudre leur blé pour en faire de la farine. Et ce blé et cette farine en grande quantité attiraient des milliers de souris… Fatigués que les souris viennent nuit et jour les chatouiller, les moulins ont fait appel à leurs amis qui vivaient dans les parages. Et en quelques heures ces amis croquèrent toutes les souris !
Et depuis, ils dorment dans le grand parc pour digérer ce festin ! Et on les appelle les endormis de Montsouris.
Les enfants qui habitent Paris peuvent venir les voir dormir dans le parc Montsouris. En cherchant bien, ils les trouveront et pourront les regarder en silence pour ne pas troubler leur sommeil… S’ils ne les trouvent pas, je peux leur indiquer au pied de quel arbre ils somnolent.
Post scriptum
Les 3 photos qui illustrent cette nouvelle histoire sont enfin en place. Merci de votre patience les enfants.
06:37 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : paris, montsouris, parc, hérisson, chatte |
15/07/2011
Des livres à découvrir cet été et sans modération
Comme je te l'ai promis Alexandre, voici quelques auteurs qui t'apporteront de belles heures de lecture :
- tout Jules Verne, c'est stimulant ;
- Alexandre Dumas, pour le dépaysement et l'aventure ;
- Jules Vallès, Le bachelier ;
- Stendhal, Le rouge et le noir (attends peut-être d'arriver en seconde) ;
- Flaubert, Madame Bovary, L'éducation sentimentale (même remarque) ;
- Balzac : Le père Goriot (pour la comédie humaine) ;
- Zola, Germinal (la France du 19ème siècle dans les mines) ;
J'arrête là. N'oublie pas la poésie que tu peux picorer comme bon te semble.
14:52 Écrit par Jean Julien dans Poésie, lecture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lecture, adolescence, verne, zola, vallès, dumas, stendhal, flaubert, balzac, poésie |
08/07/2011
La matinée est douce
La matinée est douce entre les feuilles de vigne vierge.
Le ciel est loin, au-delà des toits bleus.
Et ton blue-jean délavé
Malmène mes envies, enfin débridées.
Tu fermes les yeux, pudiquement excité
Par mes regards indiscrets,
Et quand mes doigts desserrent ta ceinture,
Je sens ton corps frémir.
Bientôt, le blue-jean glisse
Sur tes jambes blondes,
Découvrant le secret continent
Où j’aime amarrer mes désirs.
Château de Buron, Puy-de-Dôme
21:13 Écrit par Jean Julien dans Poésie, lecture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : désir, blue-jean, continent |
05/07/2011
Poésie sur les murs de Paris
Quelle chance de flâner dans les rues calmes de mon quartier où ont rôdé Lénine, le grand Henry Miller, Giacometti... ! Et de tomber sur des vers de Verlaine écrits sur une belle pierre avec du charbon de bois. Il s'agit de la 1ère strophe de Toute grâce et toutes nuances, magnifique poème de Verlaine. Merci à l'inconnu(e) qui a eu cette idée. Je me demandais pourquoi il/elle avait choisi de placer cette citation sous la plaque de la rue de l'Aude... Peut-être en hommage à Arthur Rimbaud, l'amant de Verlaine, qui écrivit J'ai embrassé l'aube d'été ? Aube, Aude... rôdez dans mon coeur !
07:07 Écrit par Jean Julien dans Poésie, lecture | Lien permanent | Commentaires (0) |
04/07/2011
Tous droits réservés sur l'ensemble du blog de Jean Julien
09:01 Écrit par Jean Julien dans Poésie, lecture | Lien permanent | Commentaires (1) |
03/07/2011
Mademoiselle Moimoi*
Elle a le nez si pointu et si proéminent et le menton si rentré vers sa gorge qu’on ne peut point l’observer sans voir sur sa face celle d’une grenouille ou d’une chouette. Mademoiselle Moimoi (mais comment diable ses parents ont-ils pu l’affubler de ce prénom ?) Mademoiselle Moimoi se pense très belle, si belle qu’elle ne parle que d’elle.
Mademoiselle Moimoi s’admire dans son grand miroir doré. Elle est seule mais elle se parle à elle-même car elle est d’elle-même l’auditrice la plus fidèle et la plus compréhensive.
« Ah là là ! Mais qu’est-ce que je suis belle, moi ! »
Pourtant le grand miroir ne reflète que la face ingrate d’une vieille chouette. Mais l’illusion de soi peut dans certains cas être plus forte que la réalité.
Mademoiselle Moimoi étant danseuse classique, elle esquisse ensuite quelques pas de valse et quelques entrechats devant son miroir doré. « Admirable, quelle grâce j’ai, nom d'un chien ! De quelle souplesse je fais preuve malgré les années ! » Dans le miroir, une silhouette biscornue et sans intérêt se dandine maladroitement.
Sur ces entrefaites, arrive une des rares amies de Moimoi. Car Moimoi a peu d’amies. Elle est très exigeante avec ses relations et ces dernières sont triées sur le volet. On pourrait aussi écrire que personne, même les âmes les plus charitables, ne la supporte mais la Moimoi ne s’en est jamais rendu compte.
La pauvre amie approche peureusement de la Moimoi sachant par avance qu’elle va récolter quelque pique acerbe en échange de sa visite .
« Bonjour Moimoi. Comment te portes-tu en cette belle journée ensoleillée ? »
« Mon corps resplendit et ma robe me met si bien en valeur ! Quel galbe ma chère ! Je n’ai pas changé depuis mes 18 ans, le temps de ma splendeur ! » s'exclame la Moimoi.
L’amie de Moimoi, la pauvre Nénette, se retient de rire. Le corps qui s’offre à ses yeux n’a rien de gracile et montre au contraire des signes indubitables d’embonpoint liés à l’âge avancé de Moimoi. On peut être Mademoiselle et compter plusieurs décennies au compteur.
Malheureusement, Moimoi aperçoit le sourire à peine esquissé sur les lèvres de Nénette.
« C’est ainsi que tu me remercies de tout ce que j’ai fait pour toi, Nénette ! Tu oses me narguer ! Tu n’es qu’une chipie. Sors d’ici ! »
Nénette préfère battre en retraite. Elle sait Moimoi incapable de rédemption et de compréhension, enfermée qu’elle est dans sa tour d’ivoire. Alors Nénette la laisse à elle-même et à son dérisoire amour de soi. Moimoi finira sa vie seule trop occupée qu’elle est de sa personne.
*Toute ressemblance ne serait ici que fortuite et bien involontaire bien que cette histoire me fût inspirée par Madame Leila Trabelsi, épouse du président Ben Ali, dont la bêtise n’avait d’égale que la cupidité. Quand j’ai séjourné en Tunisie, je l’avais baptisée la Trabelmoi.
17:41 Écrit par Jean Julien dans Histoires à dormir debout | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : trabelsi, ben ali, tunisie, égotisme, amour de soi, dérision |
01/07/2011
Porcelaine blanche
Noé sur son arche, cathédrale de Bourges, Cher
«Je compris alors que jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l'arche, malgré qu'elle fût close et qu'il fît nuit sur terre.»
Marcel Proust
cité par Pierre Magnan in Les romans de ma Provence
Sous la lampe de porcelaine blanche,
Les voix veillaient plus loin que mes rêves
Et montaient vers ma chambre
Par la fenêtre entrouverte.
Paroles confuses et sourdes,
Voyageuses pressées
Dévalant les cercles bleus de la tapisserie
Avant de s’envoler sur un rayon de lune
Tombé des volets mal joints.
Nantes, 1976
14:23 Écrit par Jean Julien dans Poésie, lecture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : proust, magnan, poésie, noé, cathédrale, bourges, arche |
30/06/2011
William nous a quittés
William Zafindravaka nous a quittés le 28 juin 2011 alors qu'il n'avait pas 70 ans. Je publie à sa mémoire ces deux photos.
Adieu l'ami malgache ! Et repose en paix !
.
08:16 Écrit par Jean Julien dans Poésie, lecture | Lien permanent | Commentaires (3) |
29/06/2011
Grand-mère n'est pas contente
Pour Tsilavina Zafindravaka qui m'a raconté cette histoire qui serait survenue dans sa maison familiale de Tananarive
Il pleut sur les tôles qui couvrent la maison d’Anjanahary. Ces tôles sont si vieilles et si rouillées qu’elles sont percées de mille trous. Alors, pour recueillir l’eau qui passe au travers de cette passoire, on a disposé sur le plancher du grenier des casseroles, des boîtes de conserve vides, des seaux et toutes sortes de récipients destinés à contenir l’inondation et qu’il faut vider régulièrement pendant la saison des pluies, de décembre à mars. Car quand il pleut sur les hauts plateaux de Madagascar, ce n’est pas du crachin breton. Des grosses gouttes tièdes se précipitent vers le sol et trempent tout ce qui les croise : les passants imprudents, les animaux égarés et les grosses araignées suspendues à leurs toiles.
Les grosses araignées de Madagascar
Cette nuit dans la grande maison d’Anjanahary à Tananarive le tintamarre des récipients s’ajoute à celui des gouttes d’eau qui s’abattent sur le toit. Mais ce tintamarre régulier de la pluie tropicale s’accompagne d’un autre bruit qui vient troubler la quiétude de la nuit. Des tiroirs de commodes s’ouvrent et se ferment bruyamment alors que toute la maisonnée est au lit. Des portes d’armoire grincent sur leurs gonds. On dirait que quelqu’un cherche quelque chose.
Ces bruits sont si étranges que personne ne dort plus. Tous sont aux aguets et pensent qu’un voleur est en train de fouiller le rez-de-chaussée de la maison profitant de l’obscurité et de la pluie battante pour chaparder quelque maigre bien.
Alors, Vola*, le courageux fils aîné de la maison, sort de sa chambre sans bruit et à pas de loup descend l’escalier en prenant soin de ne pas faire grincer la 6ème marche, celle qui doit être réparée depuis des lustres. Arrivé au rez-de-chaussée, armé d’une vieille canne, il glisse de pièce en pièce pensant à chaque instant se retrouver nez-à-nez avec un voleur. Mais, à son grand étonnement, personne. Seul le chat de la maison vient à sa rencontre et se frotte contre ses jambes en miaulant. « Ah ! Si les chats pouvaient parler, on en saurait plus sur la vie des maisons ! » pense Vola.
Il s’assoit un instant dans le vieux fauteuil au coin de la cheminée. Et soudain, le tiroir de la commode claque, refermé brutalement par une main invisible. Et puis la porte de l’armoire grince. Vola est pensif. Une force inconnue manipule ces meubles. A Madagascar, c’est un phénomène fréquent. Certaines maisons des hauteurs de Tananarive sont depuis longtemps inhabitées car inhabitables. On les dit hantées. Alors elles restent vides. Vola se demande qui peut bien être derrière ces mouvements de tiroirs et de portes à la recherche d’un objet qui lui appartient. Qui avons-nous enterré récemment ? Grand-mère Rakota. Alors il faut vérifier qu’elle est bien partie dans son tombeau avec tout ce dont elle avait besoin pour son séjour dans l’au-delà, comme les pharaons d’Egypte. N’aurait-on pas oublié de poser à ses côtés un objet familier ? L’électricité a été coupée par la pluie battante et Vola se munit d’une lampe torche pour inspecter les commodes et les armoires. Et soudain il tombe sur le dentier de grand-mère Rakota. « C’est donc cela qu’elle vient chercher, son dentier. Rien d’autre. On va le déposer dans son tombeau à ses côtés. »
Dès le lendemain matin, ce fut chose faite. Et la nuit suivante aucun bruit étrange ne vint perturber la tranquillité de la maison d’Anjanahary.
Les esprits rationnels me diront que tout cela n’est que conte pour les enfants. Sans doute. Mais les enfants ont beaucoup de chance de croire aux histoires qu’on leur raconte. Et les adultes qui savent préserver leur âme d’enfant ont un grand privilège.
* Vola : prénom malgache qu'on peut traduire par la force ou l'argent, ou les deux
15:15 Écrit par Jean Julien dans Histoires à dormir debout | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : madagascar, tananarive |
23/06/2011
Un coup de pub pour la Tunisie !
Pour ceux qui hésitent encore à se rendre en Tunisie, une piqûre de rappel. A Sbeitla, vous visiterez de magnifiques ruines romaines qui vous permettront de comprendre comment vivaient les Romains. Et comme vous pouvez le constater, la guide n'est pas voilée...
17:55 Écrit par Jean Julien dans Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tunisie, sbeitla, empire romain, vacances, culture, archéologie |
22/06/2011
Glose
Voici une histoire que ma grand-mère paternelle a vécue. Elle perdit en effet son dentier dans des circonstances étonnantes. A paraître prochainement une autre histoire sur le même sujet mais qui se déroula à Tananarive, capitale de Madagascar.
14:45 Écrit par Jean Julien dans Histoires à dormir debout | Lien permanent | Commentaires (1) |
Grand-mère a perdu son dentier
Pour Aurélie Marsollier-Hoisnard, ma grand-mère paternelle (1900-1981)
La Couyère, Ille-et-Vilaine
(En Pays Gallo, vers 1960)
Aurélie et Suzanne, sa fille, ont décidé de se lever très tôt ce matin. Aussi quand sonne l’angélus au clocher de La Couyère, vers 5 heures et demie du matin, et que le premier merle commence à siffler, Aurélie ouvre-t-elle un œil dans son grand lit.
Il fait à peine jour, seul un petit rayon de lumière passe au travers des volets fermés. Toute la maisonnée dort. C’est que la chambre d’Aurélie compte 4 lits, sans oublier le lit pliant, horriblement inconfortable et réservé aux hôtes de passage. Aurélie dort seule mais dans chacun des 3 lits restants dorment deux personnes. 3 fois deux 6. Plus 1 cela fait sept ! Une vraie couvée de poussins !
Vite levée, vite lavée, vite habillée, Aurélie réveille Suzanne qui aurait aimé prolonger son rêve. Mais on est jeudi et il faut aller au Petit trou laver le linge sale. Le petit trou c’est la mare située pas très loin de la maison. Après un bol de café bien mélangé de chicorée, on rassemble le linge sale. On le charge sur la brouette. On pousse la brouette sur la petite sente qui longe les maisons puis les jardins, passe devant le puits, laisse les toilettes dans leur cabane en bois sur la gauche, et conduit au Petit trou *.
La maison d'Aurélie, au milieu
Le puits
Arrivées au bord de la mare, les deux femmes placent leurs boîtes à laver au bord de l’eau et s’agenouillent, les jambes protégées de l’eau froide par la caisse en bois. Et elles commencent à tremper le linge, à l’imprégner de savon de Marseille, à le frotter, à le rincer, à l’essorer…
Soudain, un plouf discret. Aurélie pousse un cri strident… « Mon dentier, mon dentier ! » Il lui a échappé. Peut-être bavardait-elle trop avec Suzanne, la tête penchée sur l’eau ? Le dentier est tombé dans l’eau sombre du Petit trou et il a disparu…
Aurélie est très contrariée. Elle n’a plus de dents et a vraiment besoin de son dentier pour manger et parler. La stupeur passée, que faire ? Aurélie et Suzanne saisissent un seau auquel on a fixé un long manche et elles tentent de racler le fond de la mare avec cet instrument rudimentaire. Mais que tenter d’autre ? Elles rapportent des kilos de vase avec le seau emmanché. Et aussi une vieille brosse à dent. Et une vielle boîte de sardines rouillée…
Elles sont au bord du découragement quand, soudain, Aurélie croit distinguer une forme familière dans la vase noire. Une dent, puis une autre brillent au soleil. Le dentier émerge de la vase. « Le dentier ! Mon dentier chéri te voilà retrouvé ! »
Aurélie et Suzanne font un signe de croix pour remercier le bon Dieu de les avoir aidées. Aurélie, très sage, attendra de rentrer à la maison une fois la lessive terminée pour laver son dentier et le replacer dans sa bouche.
Aurélie fut-elle plus prudente après cette mésaventure ? Parla-t-elle moins en lavant son linge ? Je ne m'en souviens pas. Mais les enfants retiendront de cette histoire que trop parler peut parfois jouer des mauvais tours ! A bon entendeur, salut !
* Curieux, ne cherchez pas Le Petit trou, il a été comblé.
14:37 Écrit par Jean Julien dans Histoires à dormir debout | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pays gallo, la couyère, 1960 |
02/06/2011
Poule d'eau
Lana et Ewan partagent la même chambre tout en haut de la maison de Nickeriestraat. Ils partagent aussi deux lits superposés. Ewan dort en bas et Lana, qui est sa grande sœur, dort en haut. Après le départ de maman qui a raconté une belle histoire et fait de gros baisers pour dire bonne nuit, Lana et Ewan bavardent, bien allongés dans leurs lits, bien au chaud sous leurs couettes. Et ce soir, Lana a décidé de donner une leçon de français à son petit frère Ewan.
- Ewan, tu répètes après moi et tu articules bien, s’il te plaît. Pou-le d’eau.
- Pou-le-d’eau, répète Ewan en distinguant bien chaque syllabe. Pou-le-d’eau.
- C’est bien, dit Lana.
C’est que cet après-midi, au cours d’une belle promenade dans le parc, les deux enfants ont découvert une belle poule d’eau, bien installée sur son nid. Son nid, elle l’avait posé dans le creux d’un pneu tout noir accroché au bord d’un quai pour aider les bateaux à accoster au bord du canal. Poule d’eau protège ses poussins encore trop jeunes pour sortir du nid et se nourrir eux-mêmes.
Après la petite leçon de français, Lana demande à Ewan s’il a passé une bonne journée à la crèche car elle va maintenant à l’école maternelle. Le frère et la sœur sont donc séparés après des années passées ensemble. Ewan ne répond pas à la question de Lana. Lana, d’une voix douce, demande :
- Dors-tu, Ewan ?
Pas de réponse. Lana en conclut que son frère s’est assoupi. Et elle aussi décide de partir dans le monde des rêves.
Et c’est à ce moment-là que les mots commencent à danser dans la chambre des enfants. « Pou-le-d’eau » s’envole vers le plafond, « tramway » et « tram » tourbillonnent au-dessus de la commode. « Avion » décolle enfin… Mais « tu dors ? » veille sur toute sa petite famille et demande à tous ces mots remuants de se calmer et de laisser les enfants dormir. Chacun alors se pose dans son coin préféré et se repose.
Ewan et Lana, si vous les cherchez bien, vous les trouverez tous ces jolis mots endormis dans votre chambre. C’est la promesse d’un amoureux des mots !
09:52 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) |
30/05/2011
Allez en Tunisie !
J'encourage tous ceux qui le peuvent à se rendre en Tunisie dans les mois qui viennent. Ils seront bien accueillis et ne le regretteront pas. Je relaie sur mon blog la campagne de publicité qui invite à séjourner dans ce pays charmant.
12:41 Écrit par Jean Julien dans Tunisie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tunisie, dépaysement, vacances |
29/05/2011
Poule d'eau
Lors de mon dernier séjour à Amsterdam, Ewan a découvert les poules d'eau. Au-delà de l'oiseau, il aime ce nom et le prononce avec une gourmandise évidente : "pou-le-d'eau" clame-t-il lentement avec satisfaction. Il aime les sonorités de ce nom. Je lui envoie la photo d'une poule d'eau anonyme qui fera très bientôt l'objet d'une nouvelle histoire pour lui et sa soeur Lana, bien sûr.
08:12 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (1) |
27/05/2011
Le printemps tunisien
Photo de Nicolas Mathias
Cette photo, que j’ai trouvée dans le dossier que France-Inter consacre à la révolution tunisienne sur son site internet, m’a immédiatement arrêté. J’y reviens régulièrement. Elle me parle. J’ai vécu quatre ans en Tunisie. J’y retourne souvent. C’est un peu mon deuxième pays. Je m’y sens chez moi ou presque.
Le jeune homme au premier plan qui fait face à ce qu’on imagine être un cordon de police m’est familier. Non pas que je le connaisse particulièrement. Mais j’ai tellement fréquenté, côtoyé ces jeunes tunisiens, que je le devine. L’indispensable casquette à l’envers avec sa griffe (Lacoste ?), le petit blouson, le pantalon en jean serré, les chaussures de sport (à trois bandes ?). Tout y est. L’uniforme des jeunes tunisois, qui comme leurs aînés, sont conventionnels voire conformistes dans leur habillement. Ce garçon interpelle les forces de l’ordre. Il n’a pas peur. Il défie l’ordre les bras jetés en arrière, le bras gauche entouré d’un drapeau ( ?), le torse légèrement bombé. Il donne l’impression de s’offrir en victime : « Allez-y, tirez, visez mon cœur ! »
Prudemment en arrière, à l’abri dans une ruelle, un groupe d’hommes, dont certains masqués, assiste à ce défi. Les regards sont partagés entre le cordon de policiers et le jeune homme qui le provoque. L’un téléphone avec son portable. On les sent immobiles. Ils attendent.
La photo a été prise dans le Tunis européen construit fin 19ème début 20ème. Les immeubles peints de blanc, pas très bien entretenus, le rideau de fer de la boutique baissé par prudence. Les volets de la fenêtre du premier sont à moitié fermés. On imagine une femme qui de là observe la scène avec effroi. Quelques arbres au fond de la ruelle. Un bon connaisseur de Tunis reconnaîtrait le lieu aisément.
Quelques débris brûlent doucement entre le jeune homme exalté et le groupe prudemment observateur.
La jeunesse a largement porté le mouvement révolutionnaire qui a provoqué la chute du régime de Ben Ali. Cela ne m’a pas étonné. Eduquée, curieuse et courageuse, je savais cette jeunesse capable de révolte. Le jeune homme de la photo est l’essence de cette jeunesse. Il est aussi mon ami Moez, tué en janvier par l’armée qu’il a défiée, aux ordres de laquelle il n’a pas voulu obéir. Il est aussi Hamdi, mort un an avant cette révolution, Hamdi qui étouffait dans la Tunisie bouclée à triple tours par Ben Ali et ses sbires, Hamdi qui est parti sur la mer dans un petit kayak pour rejoindre l’Europe. Rêve fou à la hauteur de son désespoir. Fuir cette prison qu’était devenu pour lui son pays. Il est mort noyé. Il repose au pied de la montagne de Semmama, près de Kasserine, un des foyers du Printemps tunisien.
Jeune homme courageux à la casquette, ton nom est Moez, ton nom est Hamdi.
08:54 Écrit par Jean Julien dans Tunisie | Lien permanent | Commentaires (2) |
22/05/2011
Zouzal, le chamelon de Mauritanie
Pour Oumar, mon ami de Mauritanie
Le désert est immense sous le soleil brûlant, la chaleur est piquante comme peut l’être le grand froid.
La lumière éblouit Zouzal qui avance difficilement de dune en dune. Le sable coule comme de l’eau sous ses sabots. Il aimerait tant trouver à boire…. Zouzal se sent perdu.
Au fil des dunes du grand erg*, il monte, il descend. Il glisse sur le sable et dégringole souvent les pentes sur le derrière. Il a soif.
Kotoko, notre ami le hérisson du Ghana, poursuit quant à lui son voyage au Sahel. Après le pays Dogon au Mali *, il est arrivé en Mauritanie à Kiffa. Et il a foncé vers le nord pour découvrir le grand erg dont il rêvait depuis longtemps, lui le hérisson né dans les forêts humides du Ghana.
Et tout à coup, en glissant du haut d’une dune sur ses petites fesses rebondies de hérisson bien nourri, il tombe museau contre museau sur Zouzal qui venait de dévaler la tête et les pattes en avant une pente sableuse. Surpris l’un comme l’autre de cette rencontre improbable, et leur frayeur première effacée, Kotoko demande au chamelon comment il s’appelle.
- Zouzal, répond Zouzal.
- Zouzal ? Zouzal ? Quel nom bizarre ! répète sans cesse Kotoko en marchant aux côtés du chamelon qu’il vient de rencontrer.
- Oui, je m’appelle Zouzal. Et c’est bien normal pour un chamelon comme moi puisque je suis né en Mauritanie et que dans ce pays on emploie le mot zouzal pour désigner un chamelon. Toi, tu viens de me dire que tu t’appelles Kotoko. Quel drôle de nom !
- Cela n’a rien de drôle, au Ghana kotoko signifie hérisson. Tu vois bien que je suis couvert d’épines !
Et Zouzal et Kotoko de cheminer ensemble entre les dunes à la recherche d’un point d’eau. Soudain de très gros nuages surgissent à l’horizon. Des nuages qui bientôt masquent le ciel et le soleil. Il fait sombre comme quand la nuit va tomber. La tempête de poussière arrive. Que faire ? Dans les tourbillons de sable qui piquent les yeux et griffent la peau, on perd vite sa route. Kotoko et Zouzal décident donc de s’arrêter là où ils sont et surtout de ne pas se séparer, ils risqueraient de ne plus se retrouver. Les deux amis somnolent en attendant que la terrible tempête passe.
Le ciel s’éclaircit. La tempête a disparu. Zouzal et Kotoko se remettent en route sur leurs huit pattes. Zouzal a de plus en plus soif. La poussière qui a pénétré dans sa gorge l’a asséché. Kotoko a un sens de l’orientation infaillible. Il conduit Zouzal vers une oasis où l’eau se trouve en abondance. Et enfin, arrivés au sommet de la plus haute dune, ils découvrent un paysage merveilleux : de l’eau, des arbres, des palmiers dattiers, du blé en herbe… Un vrai paradis. Zouzal se précipite vers l’eau et peut enfin étancher sa soif. Les deux amis vont pouvoir se reposer après leur longue traversée du désert.
*Vaste étendue de sable où le vent a modelé des dunes
* Voir Les bouts de bois qui pleurent
08:59 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) |
26/04/2010
La pêcherie rêveuse
La pêcherie est rêveuse.
Voici bien des années que dressée sur ses quatre poteaux, elle affronte vents et marées.
Nul ne se souvient de son édification. Peut-être certains anciens de la pointe de Congrigoux en ont-ils une vague mémoire. Ces anciens qui habitaient près de la lande bordant les falaises. La lande qui alors était déserte et est aujourd’hui couverte de maisons. La lande où l’été vibraient les hannetons. La lande peuplée des cris stridents des martinets au soleil couchant.
Oui, quelques anciens ont vu se dresser la pêcherie sur ses quatre poteaux téléphoniques. Ils ont vu la plateforme se consolider, et la passerelle relier la pêcherie au sommet de la falaise.
La pêcherie depuis toutes ces années est devenue rêveuse. Du poisson, elle en a pris dans son filet. Mais aujourd’hui il se fait rare. Les petits éperlans, les orphies moirées, les tacauds, les bars si brillants, les mulets ont déserté la côte trop bruyante à leur goût.
La pêcherie rêveuse regarde les vagues qui passent entre ses quatre poteaux. Toujours régulières ces vagues, parfois simples ondulations, parfois hautes, se creusant comme des grottes surmontées d’un panache d’écume.
- Comme elles ont de la chance, pense la pêcherie. Les vagues courent sur la mer des jours et des jours avant d’embrasser la plage de Sainte-Marguerite et les rochers de Congrigoux. Et moi je suis là, immobile, bloquée par mes quatre poteaux cimentés entre les roches. Quel ennui !
La pêcherie rêveuse prit alors une décision incroyable. Elle allait partir avec les vagues et courir sur la mer loin de la côte pour éviter de se fracasser sur les rochers.
Elle commença par remuer son poteau avant droit. Puis l’avant gauche. Puis ses deux poteaux arrière. Et maladroitement, elle bougea. Elle était si contente et si décidée qu’aucun obstacle ne pouvait l’arrêter.
Elle n’avait oublié qu’une chose : le père* Schmidt et le père* Bernard qui pêchaient depuis sa plateforme. Après un instant d’hésitation, elle se dit qu’ils partiraient avec elle comme des cavaliers sur leurs chevaux. Après tout, elle avait quatre poteaux comme un cheval a quatre pattes.
Les quelques promeneurs du chemin de la falaise virent alors un spectacle incroyable : la pêcherie de Congrigoux bougea, puis se déplaça sur la mer, d’abord lentement puis à un bon rythme. Le père Schmidt et le père Bernard tout à leur étonnement eurent un « oh ! » de surprise. Et puis ils se dirent qu’ils allaient découvrir du pays avec leur vieille pêcherie.
On ne les a jamais revus. Parfois ils envoyaient une jolie carte postale avec une mer toute bleue et des timbres multicolores. Une carte pour dire à leurs amis qu’après tant d’années d’immobilité, ils étaient heureux de courir sur la mer infinie avec leur amie la pêcherie.
* Dans l’Ouest de la France, et particulièrement en Loire-Atlantique où cette histoire se déroule, « père » n’a aucune connotation religieuse. Il désigne familièrement des hommes auxquels on porte de la considération. Idem pour « mère ».
16:19 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, enfant, enfance, enfants, mer, loire-atlantique, pornichet |
14/04/2010
Marguerite la crique
Marguerite la crique
Marguerite !
La crique !
Mais comment peut-on s’appeler Marguerite la crique ?
Encore Marguerite la trique on aurait pu comprendre. La trique de Marguerite pour fouetter les enfants pas très sages.
Mais il n’y a plus de trique à notre époque. Les enfants sont sages, toujours sages (?).
Marguerite la crique ?
Marguerite le cirque ?
Marguerite la triche ?
Non. Marguerite n'en croque que pour une seule crique.
Marguerite en croque pour la crique de Sainte-Marguerite. Elle en croque pour cette crique alors on l’appelle Marguerite la crique…
Arrêtons-nous là avec tous ces mots imprononçables et descendons vite dans la crique pour nous y baigner… avant d’être croqués par Marguerite !
19:52 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : enfants, histoire, contine, enfant |
30/03/2010
Le chien qui dormait sous la neige
Le chien qui dormait sous la neige
« On peut s’approcher de lui sans le voir…»
C’est ce que pensait Kotoko quand il découvrit que sous la neige dormait un gros chien. Seule une oreille noire dépassait d’une bosse toute blanche signalant ainsi la présence de l’animal.
Kotoko était embarrassé. Il ne savait pas s’il devait réveiller le chien ou le laisser dormir sous la neige. Le laisser dormir sous la neige présentait un danger. Les chiens sont faits pour vivre dehors. Mais en ce jour de janvier le froid était intense dans les montagnes de Chamonix et si le chien ne se réveillait pas, il pouvait mourir gelé.
Kotoko a peur des chiens mais il prit son courage à deux pattes… Il s’approcha doucement de la bosse blanche à l’oreille noire et appela :
- Le chien, le chien, dors-tu ?
Il ne connaissait pas le nom du chien et ne pouvait l’appeler que « chien ».
- Le chien, m’entends-tu ? dit-il plus fort.
Rien. Pas un mouvement. Pas un gémissement…
- Le chien, es-tu vivant ? cria Kotoko, très inquiet.
Et soudain, la neige sembla trembler. L’oreille noire qui dépassait de la bosse se redressa suivie d’une deuxième oreille noire, suivie d’un œil, puis d’un deuxième œil.
- Deux oreilles, deux yeux qui bougent, pensa Kotoko, il doit être vivant.
Le chien poussa un long bâillement avant de se redresser sur ses quatre grandes pattes. Il secoua la neige accumulée sur son pelage, remua la queue tant et si bien que Kotoko faillit à son tour disparaître sous les flocons…
- Bonjour le hérisson. Comment t’appelles-tu ? dit le chien.
- Je m’appelle Kotoko, je viens du Ghana, je suis à Chamonix pour les sports d’hiver.
- Kotoko, je te remercie de m’avoir réveillé mais tu ne devais pas t’inquiéter pour moi. Je suis né ici dans la vallée de Chamonix au milieu des plus hautes montagnes d’Europe, les Alpes. Je suis habitué au froid, à la neige et je comprends que toi qui viens d’Afrique et d’un pays où il fait chaud toute l’année, je comprends que tu te sois inquiété… Et puis, je ne m’appelle pas « le chien » mais Cerbère…
Kotoko rassuré et Cerbère satisfait d’avoir rencontré un nouvel ami se serrèrent dans les pattes l’un de l’autre et partirent ensemble vers les pistes de luge qu’ils dévalèrent en riant.
14:57 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, enfant, enfance, enfants, chien, neige |
21/03/2010
Jabka, la terrible grenouille
Jabka, la terrible grenouille
La grenouille s’appelle Jabka.
Elle est terrible.
Elle a mauvais caractère.
Jabka attend entre deux eaux sur un caillou baigné d’un rayon de soleil.
Elle veut être la reine de Chebika, de l’oasis de Chebika.
A Chebika, l’eau qui sort de la montagne a creusé une mare où elle se repose après un très long voyage sous la terre dans le noir.
L’eau verte se repose au soleil et la grenouille Jabka se repose dans l’eau pour un temps endormie.
La terrible Jabka ne se repose jamais longtemps.
Elle veut être la reine de l’oasis de Chebika.
Quand on veut devenir reine, il faut surveiller ses ennemis.
La libellule rouge qui sèche ses ailes sur un rocher.
Les horribles poissons qui nagent lentement dans l’eau verte.
Les oiseaux qui chantent dans les palmiers depuis le lever du soleil et cassent la tête de Jabka.
Le serpent qui vient près de la mare et fait briller sa peau au soleil.
Soudain Jabka se dresse sur ses pattes arrière et saute sur le rocher le plus haut, celui qui domine la mare.
« Dorénavant, je suis votre reine à tous, Jabka Première, reine de l’oasis de Chebika, et vous devez m’obéir : toi la libellule rouge, vous les oiseaux bavards, vous les poissons silencieux et toi le serpent paresseux. »
La libellule rouge agite ses ailes et dit :
« Si tu veux être notre reine, tu dois grossir. Tu es très maigre Jabka et une reine ne peut pas être maigre. »
Jabka est en colère. La terrible grenouille n’aime pas qu’on lui réponde.
Mais elle décide de gonfler son petit corps en respirant très fort car elle veut devenir la reine de Chebika.
Jabka devient si grosse, si grosse. Les poissons la regardent, étonnés, le serpent siffle pour lui dire de faire attention, les oiseaux se taisent inquiets pour Jabka.
Mais Jabka continue de grossir.
Elle est têtue.
Soudain, Jabka éclate et disparaît.
Jabka la grenouille ne sera jamais la reine de Chebika.
La libellule rouge s’envole.
Les poissons glissent dans l’eau verte vers l’ombre des rochers.
Le serpent regagne son trou bien frais.
Les oiseaux chantent à nouveau.
Ils ont tous oublié Jabka, la terrible et orgueilleuse grenouille.
18:52 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, enfant, enfance, enfants |
19/03/2010
Le bal des langues
Le bal des langues
Lana et Ewan écoutent sagement Kotoko, le hérisson du Ghana. Sagement car Kotoko raconte ses histoires aux enfants calmes et seulement aux enfants calmes.
- Non, Ewan et Lana, je ne vais pas vous parler de votre langue, celle qui se trouve dans votre bouche et vous permet de manger et de parler. Celle que vous tirez, toute rouge, quand vous vous moquez de vos camarades ou quand vous êtes fâchés…
Et Kotoko commence une nouvelle histoire.
« Voici bien longtemps, dans un beau château au milieu d’un grand bois, fut organisé un grand bal. Le propriétaire du château, le prince de Babel, avait beaucoup voyagé et avait appris à parler une bonne douzaine de langues dans les pays où il avait vécu.
Toute sa vie il avait entendu parler des langues différentes du français, sa langue maternelle, et il aimait écouter tous ces mots inconnus et si jolis. Mais dans son pays, la France, le prince n’entendait que du français. C’était bien monotone et le prince de Babel s’ennuyait.
C’est pourquoi il décida d’organiser un grand bal et d’y inviter ses amis des pays où il avait vécu.
Et toute la nuit, dans le grand château, Odloudek, l’ours de Pologne, dansa avec Kaninchen, le joli lapin d’Allemagne. Egel, le piquant hérisson des Pays-Bas, ne quitta pas d’une semelle Perro, le chien d’Espagne.
La chatte de Tunisie, Katous, bavarda pendant des heures avec Granchio, le crabe d’Italie, Yopada, la jument de Grèce, et Vanymfe, la libellule de Norvège.
Papagayo, le perroquet du Portugal, ne tenait pas en place et poursuivait dans les grands salons Kypnoua, la poule de Russie, et Dovhjort, la biche de Suède.
Opao resta seul dans son coin, par fierté. Quand on est un aigle et qu’on vient de Serbie, on se montre un peu distant.
Viuugu, mon grand ami le hibou du Burkina-Faso, arriva en retard mais ses plumes brillaient tant que tous les invités poussèrent un grand cri d’admiration.
Et c’est ainsi que se déroula le bal des langues. Le Prince de Babel était ravi et garda ses amis toute une semaine.
Aujourd’hui encore, quand on se promène dans le vieux château, on entend les voix des invités et toutes ces langues dont les sons se mêlent avec harmonie. »
Ainsi se termine cette histoire.
12:00 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) |
15/03/2010
Les bouts de bois qui pleurent
Les bouts de bois qui pleurent
Notre ami Kotoko, le hérisson, a quitté son pays, le Ghana, pour un très long voyage vers le nord, vers le Mali et le pays de Bandiagara.
Il a traversé des kilomètres de savane, grimpé sur le toit d’un autocar qui soulevait d’énormes nuages de poussière rouge comme le sang de la terre d’Afrique. L’autocar filait, indifférent aux frayeurs des troupeaux qui paissaient aux abords de la piste en latérite. Rouge, Kotoko l’est totalement, rouge comme la terre du Sahel.
Lorsqu’il approche de Bandiagara, Kotoko n’a plus une seule épine de propre. Le pauvre hérisson, il va devoir se laver... Et quand l’autocar débordant de passagers, tout aussi rouges que Kotoko, et quand l’autocar surmonté d’une montagne de bagages et de colis, rouges eux aussi, s’arrête pour laisser refroidir le moteur, Kotoko descend du véhicule pour détendre ses quatre petites pattes engourdies.
Pendant que certains vont s’accroupir derrière les arbres pour soulager leur vessie, Kotoko s’approche d’un mystérieux enclos que ferme sur quatre côtés un entrelacs de bouts de bois, de vieilles branches sèches emmêlées pour retenir les animaux quand leur propriétaire a besoin de les parquer là.
Kotoko s’approche des bouts de bois qui ont perdu leur écorce, desséchés par le rude soleil du Sahel. Et, à sa grande surprise, il aperçoit des gouttes d’eau qui perlent sur un, puis deux, puis trois des bouts de bois…
- Ne serait-ce point des gouttes de rosée que la nuit aurait oubliées sur ces branchages ? pense Kotoko.
- Ce soleil de plomb aurait vite séché la rosée ! lui répond un voyageur.
Alors Kotoko s’approche des bouts de bois, si près que les sillons et les bosses se transforment peu à peu en têtes : là celle d’un cheval, ici celle d’un chien, plus loin celle d’un dragon aussi effrayant que les gargouilles des cathédrales dans la vieille Europe…
Les bouts de bois ont parfois des têtes d’animaux, parfois des visages d’êtres humains…
- Ces gouttes d’eau ne sont pas celles de la rosée. Ce sont des larmes, dit Kotoko. Les larmes des bouts de bois qui pleurent de se voir dessécher sous le soleil, fendiller sous les coups de l’air torride, éclater par le froid des nuits de saison sèche… Ils souffrent ces bouts de bois, mais que puis-je faire pour eux ?
Kotoko se souvient qu’il a une bouteille d’eau dans ses bagages. Il court lentement vers l’autocar, revient lentement avec sa bouteille d’eau vers les bouts de bois. Et il asperge doucement les têtes en bois qui absorbent sans tarder l’eau si précieuse…
- Merci Kotoko, soupirent-elles si faiblement que seul Kotoko peut les entendre. Merci, marmonnent-elles. Merci Kotoko, chuintent-elles entre leurs nœuds et leurs crevasses…
Le murmure s’éteint.
Kotoko entend le klaxon de l’autocar qui appelle les passagers dispersés. Kotoko remonte lentement sur le toit du véhicule, vers sa place au milieu des bagages entassés. Il est songeur. Il n’oubliera pas de si tôt les bouts de bois qui pleurent sous le soleil de Bandiagara, au Mali.
10:19 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (2) |
09/02/2010
Koudi va à l'école
Chamonix, Paris, janvier et février 2010
Pour mon Koudi
Koudi va à l’école
Kotoko, le hérisson, arrive à Bassi, le village de son ami Koudi.
Koudi a 6 ans et, depuis qu’il sait marcher, il passe ses journées à jouer entre les cases et à courir dans la brousse. Parfois il pousse devant lui une vieille roue de bicyclette qui a perdu son pneu depuis longtemps.
Le jeu préféré de Koudi c’est de traîner Kwamé, son copain, sur une planche en bois. Et quand Koudi est fatigué, c’est Kwamé qui le tire sur la planche. Ils sont couverts de poussière et tout en sueur. Mais si heureux tous les deux !
Kotoko, le hérisson, appelle Koudi très fort car il ne sait pas où est son ami. Et Koudi surgit de derrière un vieil arbre à pain.
- Koudi, bonjour. Ta maman et ton papa m’ont demandé de venir te voir car ils ne sont pas contents de toi.
- Bonjour Kotoko, je suis heureux de te voir. Mais que me reprochent papa et maman ?
- Ils m’ont dit que tu ne veux pas aller à l’école. Est-ce bien vrai ? Je n’en crois pas mes oreilles de hérisson…
- Oui, Kotoko, c’est vrai. Je ne veux pas aller à l’école. J’aime jouer avec Kwamé entre les cases du village. Poursuivre les chèvres. M’accrocher aux branches de mon vieil arbre à pain. Attraper des criquets, les faire frire et les manger. C’est ma vie !
- Koudi, tu n’es pas sérieux. Ta mère et ton père sont bien tristes : eux qui voulaient aller à l’école quand ils avaient ton âge, ils n’ont pas pu réaliser leur rêve. Il n’y avait pas d’école dans leurs villages. Aujourd’hui il y a une école toute neuve à Bassi, au cœur de ton village. Tu as assisté à sa construction. Un jeune maître d’école vient d’arriver. Il est ici pour toi et tes camarades.
Koudi se tait. Il ne veut pas répondre à Kotoko. Il entraîne son ami hérisson vers la case de sa famille et tous les deux partagent en silence du riz arrosé d’une délicieuse sauce à l’arachide. Lorsque leurs estomacs sont pleins comme des outres, les amis s’endorment à l’ombre de la case… Et Koudi rêve…
Koudi rêve qu’il se retrouve seul dans une très grande ville pleine de bruits, de voitures, de motos. Il est bousculé par des gens pressés qu’il ne connaît pas… Partout il voit des inscriptions mais il ne sait pas les lire. Les noms des rues, les enseignes des magasins, les directions des autobus, il ne peut rien déchiffrer…
Il a peur, il transpire beaucoup, personne ne veut l’aider. Il crie…
- Que se passe-t-il ? s’exclame Kotoko.
Dans son cauchemar, Koudi entend son ami Kotoko, se réveille et se redresse rapidement.
- Ah, Kotoko ! Que je suis content de te voir ! Ta voix m’a sauvé d'un rêve affreux. J’étais perdu dans une ville immense et comme je ne sais pas lire, j’étais incapable de trouver mon chemin…
- Tu vois ce qui va t’arriver si tu choisis de rester analphabète toute ta vie, lui répond Kotoko.
- Kotoko, je crois que c’est toi qui m’as envoyé ce rêve… Serais-tu sorcier ? J’ai maintenant envie d’aller à l’école. Pour y apprendre à lire, écrire, compter et découvrir le monde…
- Tes parents vont être satisfaits, Koudi. Mais tu sais, c’est pour toi que l’école est la plus importante… Elle va changer ta vie. Et puis après la classe, et le samedi, et le dimanche et pendant les vacances tu pourras jouer tout ton saoul !
Koudi court à la recherche de Kwamé, le trouve perché au sommet du vieil arbre à pain, le fait descendre et l’entraîne vers l’école du village.
Et là, commence une nouvelle et belle histoire qui occupera Koudi et Kwamé pendant de nombreuses années.
14:57 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) |
23/01/2010
Les cèdres de Sarlan
Les cèdres de Sarlan
Les arbres parlent aux enfants.
Les enfants écoutent les arbres.
Les adultes, qui ne sont plus des enfants, entendent les feuilles frissonner dans le vent, les branches craquer, les fruits tomber sur le sol…
Les adultes entendent les bruits des arbres et ne comprennent plus leurs paroles.
Les adultes ont grandi. Ils ont oublié les belles histoires que les arbres racontent.
Il était une fois un grand château entouré d'un grand parc au milieu de montagnes vertes et douces. Depuis des siècles, on l'appelle Sarlan. Voici bien longtemps, les proprétaires avaient planté des cèdres dans le grand parc.
Ces cèdres venaient de loin, de très loin. D'un pays dont le nom fait rêver, le Liban.
Un après-midi, Lana et Ewan se promenaient dans la grand parc de Sarlan en se tenant par la main pour ne pas se perdre. Lorsqu'ils arrivèrent dans l'allée bordée de cèdres, ils entendirent un murmure et crurent que leur papa ou leur maman étaient venus à leur rencontre.
Mais non, personne.
Le murmure devint paroles. Alors Lana serra très fort la main d'Ewan car elle ne savait pas qui parlait ainsi...
Mais Ewan et Lana n'avaient pas peur. Ils arrêtèrent de marcher, se tournèrent vers le plus haut, le plus large et le plus beau de tous les cèdres, là d'où venaient les paroles.
Et le vieux cèdre dit aux enfants de sa voix grave :
“Il y a bien longtemps, je suis sorti de la terre libanaise, minuscule pousse que les sangliers auraient pu écraser sans même la voir.
Mais ils m'ont épargné.
La grêle des orages ne m'a point percé.
C'est ainsi que j'ai pu grandir protégé par les cèdres plus vieux, plus grands et plus solides.
Un jour, alors que j'ateignais 40 centimètres, haut comme quatre pommes, on entendit des voix dans la forêt. Des hommes chargés d'armes et coiffés de jolis chapeaux arrivaient là où je grandissais.
Ils commencèrent à creuser la terre qui entourait mes racines et soudain me soulevèrent.
Pour moi qui n'avais jamais bougé depuis ma naissance ce fut une surprise.
Placé dans un grand pot de terre cuite, les voyageurs m'embarquèrent sur un bateau qui finit par arriver à Marseille après bien des jours et des nuits remués par les vagues.
C'est dans ce port que les voyageurs se séparèrent et que chacun partit planter sa jeune pousse de cèdre aux quatre coins de la France.
Mon voyageur remonta la vallée du Rhône, sans oublier de m'aroser, et après avoir traversé de hautes montagnes, nous arrivâmes à Sarlan dont il était le seigneur. Et il me planta là où je suis aujourd'hui pour vous parler, à vous Ewan et Lana.
J'étais habitué à la montagne, au froid de l'hiver, au chaud l'été. Je connaissais les orages grondeurs et la neige silencieuse. Je me suis toujours plu dans le grand parc de Sarlan. Maintenant je suis aussi haut que les tours de château et je vois tout ce qui se passe dans la parc. Si un jour vous êtes égarés dans la forêt, Lana et Ewan, appelez-moi et dites : “Vieux cèdre, donne-nous le chemin que nous avons perdu !”. Et je vous guiderai. Mais tout cela doit rester un secret entre nous. Car seuls les petits enfants comprennent ce que leur disent les arbres de Sarlan”.
Le cèdre se tut. Ewan et Lana coururent vite vers le château où grand-mère Jana sonnait la cloche pour annoncer l'heure du goùter.
Ils ne diront rien.
Les enfants savent garder leurs secrets.
18:21 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) |
01/01/2010
En Pologne (suite), il neige
Varsovie le 16 décembre 1680
Ma toute bonne,
Lors du long voyage qui nous conduisit de Paris à Varsovie, Jean de la Ventière et ma modeste personne, je pris le temps de relire un de mes auteurs favoris. Non point Jean Racine ou Molière dont je connaîtrai bientôt par coeur les pièces de théâtre tant je les ai lues et vues et entendues à la Comédie française.
Cela va sans doute vous étonner mais ce sont les lettres de Sainte-Thérèse d'Avila qui m'ont à nouveau captivée. Dans ma prime jeunesse j'eus l'occasion de les lire lorsque je fus en pension chez les soeurs des Carmes à Rennes. Comme vous le savez ma chère enfant, cette noble Espagnole du siècle dernier avait mis toute son énergie au service de notre Seigneur. Toute sa vie, elle lutta avec détermination contre la futilité des soeurs engagées dans les ordres et se battit pour les ramener à une vie spirituelle digne de Dieu. Ce combat qui la conduisit au bord de la folie, elle le mena avec un humour et un recul rares chez une femme de ce temps-là.
Ce qui sans doute la sauva de la démence. Soyez rassurée ma toute bonne et ne pensez point qu'à mon tour je deviens mystique. Comme disait Christian de Kerangal, comte de Perros-Guirec, mon frère de coeur : « Ma chère marquise, vous avez les deux pieds dans la boue, comme nos manants, vous ne risquez pas de quitter la terre à laquelle vous êtes attachée ! » Ce Kerangal avait une langue bien acérée mais il connaissait mon âme comme le parc de son château, aucune allée ne lui était inconnue.
Mais à nouveau je m'égare. L'air de la Pologne est si sec en cette saison que mon cerveau tourne encore plus rapidement qu'aux Burons.
Ecoutez ce que j'ai noté pour vous. Sainte-Thérèse s'était blessée à la jambe. Elle dit à Jésus : « Seigneur, après tant d'ennuis, il faut encore que celui-là m'arrive! » Jésus répondit : « Thérèse, c'est ainsi que je traite mes amis. » Savez-vous ce que Thérèse répondit à Jésus : « Pas étonnant que vous en ayez si peu ! » Admirable !
Quand je lus cet échange à la Ventière, il en rit aux larmes. Notre calme retrouvé, nous eûmes un long échange sur la perfection vers laquelle tendent les saints et sur les dangers qu'il y a pour nous autres, communs des mortels, à tenter d'emprunter leurs traces. Ce que peuvent les grands mystiques, dotés d'une force d'âme hors du commun, ne nous est pas accessible. Il n'est pas souhaitable de s'engager dans une voie trop exigeante. Ni pour le corps, ni pour l'esprit. Cette exigeance peut créer une tension insupportable pour notre organisme et pour notre cerveau. Notre âme pâtirait gravement de cette tension excessive. « Regardez, me disait la Ventière, ces femmes et ces hommes qui s'engagent dans des défis permanents, sans s'assurer au préalable d'être dotés des moyens de les affronter. Regardez comme ils souffrent de la peur de l'echec qui peut à tout moment les fracasser. Regardez ces femmes (ou ces bélâtres) qui ne veulent pas accepter leur âge et souffrent le martyr dans des corsets trop serrés pour conserver leur minceur. Qui se ruinent en onguents pour masquer leurs rides. Regardez ces femmes et ces hommes qui s'engagent dans des responsabilités qui les dépassent et dans des carrières pour lesquelles ils n'ont jamais eu les capacités. Ils ne sont pas en paix avec eux-mêmes et ne le seront jamais. Ils souffrent. Et cette souffrance morale engendre bien souvent des maux du corps qui peuvent devenir mortels ! »
La Ventière avait lu notre cher Montaigne et je reconnaissais la tempérance du bon Aquitain. J'avoue que moi aussi je suis sensible à ce sens de l'équilibre qui fait tant défaut à nos contemporains, tout entichés de l'excès qu'ils sont. Malheureusement l'exemple vient de haut, de notre roi si je puis le nommer. Vous savez, ma toute bonne, que les hommes comme les moutons aiment à copier un modèle, surtout lorsqu'il a le pouvoir. La Ventière a vécu plusieurs années dans l'Empire Ottoman et plus précisément à Tunis où il représentait notre roi auprès du Bey. Il me confia alors tout le désastre sur les sujets de ce petit royaume des frasques du Bey, Ben Alef, et de sa première épouse, la Trabelmoi. Ce sera l'objet d'une nouvelle missive car je me suis déjà trop écartée de cette chère Pologne si accueillante pour tous les indésirables de notre Europe et qui accueille tous les juifs et tous les protestants chassés des royaumes où ils ont été déclarés personna non grata.
A vrai dire, je ne vis pas beaucoup la Ventière au cours de notre séjour varsovien. Il était mandé là par le roi qui lui avait confié une mission secrète de première importance. La Ventière et Jarocin tenaient de longs conciliabules dans un petit salons du palais. J'entendais leurs voix de loin comme une rumeur. Jarocin, comme tous les nobles d'Europe, parle un français remarquable. Il fut élevé par une fille de Mesquer, près de Guérande en Bretagne, que Madame Jarocin-mère fit venir tout exprès à Cracovie pour familiariser dès son plus jeune âge le jeune prince avec notre si belle langue. Je rencontrai cette fille de Mesquer, qui porte désormais sa cinquantaine avec superbe. Nous échangeâmes longuement des nouvelles de notre Bretagne qu'elle n'avait pas revue depuis près de 30 ans...
Je crus comprendre, au détour d'un échange à table entre les deux comparses, que Jarocin n'était pas satisfait du système électif qui régissait la vie politique du royaume de Pologne. Ici le roi n'est pas le fils ou le petit-fils de son père. Ce serait trop simple. Nos amis polonais ont inventé la monarchie élective. Quand le roi meurt, tous les nobles du royaume se rassemblent, les petits nobliaux comme les grands. Vous imaginez alors tous les pièges que les grands puissances voisines peuvent tendre à ce pays riche qu'ils convoitent pour son blé : les Allemands, les Suédois, les Russes si terribles et sanguinaires, les Autrichiens qui se pensent déjà chez eux à Cravovie (« cracouv » dirait ce cher prince) ou à Breislau. N'oubliez pas ma tout bonne que nous eûmes un Français sur le trône de Pologne en la personne d'Henri III. Oh ! Il comprit vite sa douleur. Après neuf mois sur place, à Cracovie, il ne résista point aus rigueurs de l'hiver et prit ces cliques et ses claques pour rentrer fissa à Paris. Ses mignons devaient lui manquer. La rusticité des garçons de ferme et des jeunes bouchers polonais, attirés par l'élégance de ce Valois, ne devait point lui convenir. Ils étaient de trop basse venue pour exciter son désir.
Il neige ma toute bonne. Nous sommes en décembre et cet après-midi le ciel est soudain devenu d'un vert mystérieux vers le couchant. Le prince Jarocin nous dit que le mélange de la nuit approchant par l'est et des nuages chargés de neige poussés par de fortes bourasques d'ouest était à l'origine de cette fantasmagorie. La Ventière raconta qu'en Tunisie il avait observé un phénomème semblable à l'approche d'une tempête d'hiver comme seule la Méditerranée sait en produire.
Les oeuvres de Dieu sont admirables. Et nous devons le remercier de toutes ces merveilles. Je suis bien lasse et vais prendre mon repos nocturne. Les flocons de neige dansent devant ma fenêtre (ici point de volets comme en Bretagne bien qu'il y fasse bien plus froid), pas un ne ressemble à l'autre, pas davantage que ces hommes et ces femmes que j'aime tant scruter.
Je vous embrasse comme je vous aime, de tout mon coeur.
17:29 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (1) |
En Pologne, chez le prince Andrzej
Varsovie le 12 décembre 1680
Ma toute bonne,
Ma vie avance en âge. Et je m'étonne de désormais considérer ma propre fin avec sérénité. Ne vous méprenez point. L'idée de vous quitter vous et vos enfants m'est une déchirure. Mais la pensée de laisser ce monde trop plein de chaos, celle de retrouver tous ceux que j'aime tant et qui déjà nous ont quittés et celle de continuer à veiller sur vous de là où je serai, toutes ces pensées m'apaisent et m'incitent à envisager l'âme tranquille cette issue inexorable. Je suis en paix avec moi-même et en paix avec ceux qui m'entourent.
Ces idées, qui n'ont rien de triste, me sont venues lors du très long périple que nous avons entrepris Jean de la Ventière et moi-même de Paris à Varsovie. Au service du roi, la Ventière était muni d'un sauf-conduit qui nous permit de franchir sans encombre les innombrables frontières du pays allemand où les royaumes seront bientôt aussi nombreux que les puces sur un chien. Par des routes trop souvent défoncées, dormant dans des auberges sales et infestées de cancrelats et de rats, nous rejoignîmes le port de Hambourg pour nous embarquer jusqu'à Dantzig. Les voies vers la Pologne étaient trop boueuses pour être praticables en cette saison automnale.
C'était ma première traversée maritime et j'ai cru ma dernière heure arrivée. Sitôt quitté le port de Hambourg, nous dûmes affronter des vagues terribles soulevées par un vent d'Est démoniaque de force et de froid. Le vaisseau se soulevait, retombait lourdement sur les flots, roulait tant et si bien que mon estomac déjà affaibli se vida comme une outre crevée. J'arrête là le récit de ces horreurs maritimes. Je préfère oublier ces quatre jours de navigation même si le temps fut plus clément sur la mer baltique qui ressemble davantage à un grand lac qu'à une mer.
Partis de Paris deux semaines plus tôt, nous débarquâmes à Dantzig le 8 décembre. C'est une belle et prospère ville hanséatique, tout comme Konigsberg située plus à l'est. On y entend parler allemand et polonais. Toute la ville est construite en briques. Les maisons sont hautes et étroites comme à Amsterdam où réside la nièce de la Ventière, Anne de la Ventière, comtesse de Jansen-Sarlan, que nous visitâmes il ya quelques mois. De vastes entrepôts bordent les quais, ils sont munis d'ingénieux systèmes destinés à hisser les marchandises, mus par d'énormes roues que font tourner de pauvres bougres enfermés là-dedans comme des écureuils dans une cage.
Malgré la charmante hospitalité qui y règne, nous quittâmes rapidement Dantzig pour Varsovie où nous accueillit le prince Andzrej de Jarocin (il faut, ma toute bonne, prononcer « yarotchine » à la polonaise, sinon vous vexeriez le prince). Je passe sur le voyage car il ne fut pas plus confortable qu'en pays allemand. Nous traversâmes cependant la Mazurie ou Poméranie occidentale, selon que vous parlez polonais ou allemand, et j'eusse aimé, ma toute bonne, contempler avec vous la houle des collines et des lacs qui viennent ici battre l'horizon de profondes forêts.
Jarocin vient d'emménager dans son tout nouveau palais de Varsovie. Le roi de Pologne a décidé de déplacer sa cour et sa capitale dans cette ville, délaissant Cracovie où ses ancêtres étaient installés depuis des siècles. Le roi polonais admire beaucoup notre bon roi de France, il a donc décidé comme notre Louis de créer son Versailles, à Varsovie sur les bords de la Vistule. La cour ne fut point enchantée de cet exil car Varsovie se sonstruit au milieu de nulle part, loin de la mer, loin de l'Autriche, loin de l'Allemagne, isolée dans des plaines sans fin.
Le palais du prince Andzrej est situé sur une hauteur qui domine la Vistule. Il est entouré d'un vaste parc nouvellement planté qui descend jusqu'au fleuve. Andzrej est le ministre des affaires extérieures du royaume de Pologne et a construit cet édifice à la mode française avec élégance,symétrie et sobriété.
Le prince de Jarocin est plus jeune que la Ventière. Ils ont fait connaissance lorsque ce dernier représentait notre roi à Varsovie. Le jeune Andzrej était alors un grand adepte des fêtes de nuit qui animent cette jeune capitale quelque peu morne. Il abusait parfois de la vodka, l'alcool local, et entraîna ce pauvre Ventière dans des soirées aussi animées qu'arrosées. Andzrej s'est assagi et sa finesse d'esprit, qui avait séduit la Ventière, s'est renforcée avec l'expérience acquise. Doté d'un humour sarcastique, sachant établir avec les humains et les événements la distance indispensable à leur bon entendement, cet Andzrej avait toutes les dispositions pour s'entendre avec Jean qui présente de semblables dispositions d'âme et de cervelle. Leur amour commun de la musique et de la peinture finit de sceller leur amitié.
Notre arrivée et les retrouvailles entre les deux amis furent l'occasion d'une grande fête donnée de nuit dans les nombreux salons du palais princier.
Je regrettai que le Marquis Bernard de la Ventière ne fut point de la partie. Il n'aime plus guère quitter son château de Verneuil où il tient compagnie à la Marquise Julienne qui se plaît, malgré son âge avancé, à trottiner sans relâche comme une petite souris dans les salons et les nombreux corridors. Voici quelques années, quand leur fils résidait à Varsovie, les Ventière père avaient fait par deux fois le déplacement depuis leur Mayenne. Et ils en furent fort aises. Mais l'âge venant, les voyages ne sont plus de leur goût.
Mais je m'égare selon ma mauvaise habitude. Les idées et les mots qui les portent viennent si vite à mon esprit que mon récit ressemble parfois à une sinueuse route de montagne... Je reviens donc à Varsovie et à mon cher Bernard de la Ventière qui aurait admiré ces belles jeunes femmes polonaises si fines et si élégantes, pour le plaisir des yeux comme il aime à le dire. Elles dansent mazurkas et polkas aux bras de leurs lourdauds de cavaliers aussi empotés qu'elles sont déliées. C'est ainsi en Pologne, les femmes l'emportent sur les hommes par leur ascendant et leur énergie. Heureusement que quelques exceptions viennent contredire cette règle. Le prince Andzrej le démontre brillamment. Car il a belle allure ce prince polonais, la taille élancée, le visage bien fait, animé par de beaux yeux bleus, la tignasse aussi blonde que les blés mûrs de mes champs bretons.
Au cours de la soirée, la Ventière s'enquit auprès de Jarocin de la santé du baronnet Michael («mirawe») de Grochala («grorala») qu'il avait connu lors de son séjour à l'ambassade. Ce Grochala était aussi intelligent que prétentieux et compensait la faiblesse de son nom par une arrogance pénible. Jean de la Ventière avait appris d'une amie polonaise que ce nom qu'il disait venir d'une vieille famille protestante exilée en Pologne (« Les Groschats » disait le baronnet) signifiait « haricots » en polonais... Elevé par sa mère abandonnée par son navigateur de mari, il était possessif et jaloux. Mais brilant juriste, Grochala était doué pour les affaires. Jarocin confia à Jean qu'il ne le voyait plus à la cour. Le baronnet avait peut-être quitté la capitale pour un royaume allemand où il pourrait faire fructifier sa fortune naissante. L'argent constituait en effet le principal moteur de l'existence de Grochala.
A ce moment de la soirée, le nonce apostolique fit son entrée, majestueuse, il va sans dire. Ces princes de l'église ont perdu toute l'humilité qui habitait notre seigneur et sont plus amoureux du pouvoir temporel que du Christ. Je me prends parfois à lorgner vers ces protestants qui reviennent aux fondements de notre belle religion chrétienne toute pleine d'amour du prochain et du sens du pardon. Mais je m'égare encore une fois et dangeureusement car notre roi n'aime point les parpaillots.
Notre nonce était bien loin de toutes ces préoccupations, déjà quelque peu éméché par un passage chez Anna (« agna ») Kalinska, marquise de Niekgpogolski, qui recevait elle aussi. Le nonce vint nous saluer et s'enquit de notre voyage et de notre installation. Il savait Jarocin peu tourné vers la religion catholique qui se mêle de tout dans ce pays. Il fut aimable avec lui, sans plus. Le nonce nous dit avoir reçu des nouvelles fraîches de Rome où la Lefeuvre et le cardinal Grenellini étaient arrivés et menaient grand train dans le palais Farnèse où ils avaient pris leurs quartiers.
A tel point que le saint prélat dut demander à Grenellini de se faire plus discret. Piquée, la Lefeuvre, dont vous connaissez, ma toute belle, la faiblesse d'esprit, fit alors remarquer à son amant que ce n'est pas parce qu'un homme porte la robe, fusse-t-il pape, qu'il peut se permettre d'empêcher deux pigeons de s'aimer d'amour tendre.
Le nonce éclata d'un rire inextinguible en nous rapportant ces balivernes qui vont faire le tour de l'Europe... A cette Lefeuvre, que ne resta-t-elle point dans son cagibi à broder des napperons ! Cela eut suffi à occuper sa cervelle d'oiseau !
Sur ce, je vous laisse. Ma chandelle décline. Dans ce pays et à cette saison automnale, il fait nuit au milieu de l'après-midi et à neuf heures du soir on en vient à penser qu'il est minuit tant l'obscurité vous entoure depuis des heures. Je vais prendre du repos en priant Dieu que mes entrailles me laissent en paix. Mes pensées vont vers vous qui êtes si loin de moi par la distance mais si proche de mon coeur.
Je vous embrasse comme je vous aime, avec tout mon amour.
17:20 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (4) |
08/12/2009
Le concert des animaux
Le concert des animaux
Pour Relwendé
La nuit est profonde au-dessus de Bandiagara.
Le ciel est noir, percé de millions d’astres qui brillent de tous leurs feux.
La nuit, l'air du pays Dogon*est si pur, si transparent et si calme qu'on entend glisser les étoiles.
Temé dort sur le sable, sur une simple natte, enveloppé dans son grand boubou bleu.
Quand vers l'Est, du côté du Sahara, le ciel commence à rosir et que les étoiles s’éteignent les unes après les autres,
le grand concert des animaux se prépare.
Temé entrouvre un œil.
Très matinal, le coq a chanté avant l’aube
Quand il a senti que le soleil se rapprochait de l’horizon.
Il a prévenu ses poules de l’imminence du jour.
Elles doivent se préparer à picorer des grains de mil et à pondre leurs œufs en caquetant.
Quand le coq a lancé son premier «cocorico», les oiseaux de nuit se sont tus.
«Fini les hululements des heures obscures !» pense Temé qui de son œil entrouvert aperçoit la chouette et le hibou qui se cachent dans un trou d’arbre.
Ils vont dormir de peur d’être éblouis par la lumière du soleil levant.
Dans l'air frais et rose du matin, le ciel bleuit peu à peu.
Commence alors le grand concert des animaux.
L'âne se réveille.
Il a dormi debout et déjà prêt pour une nouvele journée de travail, il réclame son foin et pousse un cri si puissant que Temé ouvre son second oeil. «Quand cessera-t-il de braire cet âne ? Il me fait toujours sursauter.»
Les chèvres ne sont pas en reste.
Déjà excitées à l'idée de partir en brouse dévorer les feuilles d' acacias et autres épineux, elles bêlent en choeur : les mères appellent leurs chevreaux, les chevreaux répondent à leurs mères. Les boucs encore endormis leur demandent en vain de bêler moins fort.
Le concert s'amplifie de minute en minute.
Les chiens soudain aboient.
Bien qu'ils aient peu dormi car ils ont gardé les maisons toute la nuit pour les protéger des voleurs, ils commencent eux aussi leur journée de labeur.
Ils entourent les vaches et leurs veaux pour les conduire aux pâturages sous la houlette des bergers.
Temé se lève en secouant son grand boubou, vaincu par ce vacarme. Mais le concert se poursuit.
Dès que les chèvres furent réveillées, les moutons ont suivi le mouvement. Jamais les moutons ne se décident seuls, ils imitent les autres animaux. Et ils bêlent, ils bêlent sans trop savoir pourquoi ou peut-être pour dire qu'ils sont là, eux aussi, à Bandiagara et que maintenant les oiseaux rêvent de frôler le ciel tant il est bleu et le soleil brillant.
Les martinets montent si haut, si haut que leurs cris stridents se perdent dans l'air du matin.
C'est alors que le chat rentre de sa nuit de chasse.
Dans l'obscurité propice, il a traqué les souris et autre mulots qui dévorent le sorgo et le maïs dans les greniers.
Quelques uns ont fini sous les crocs du terrible félin, si grand chasseur la nuit et si doux compagnon des hommes le jour.
Le chat aussi utile aux agriculteurs que le chien aux éleveurs.
Le chat est un animal discret et il miaule avec parcimonie, pour saluer ses maîtres, appeler un chaton égaré.
Fatigué de sa nuit de chasse, il dort d'un oeil en ronronnant, bien à l'aise à l'ombre d'une véranda, tout en surveillant sa cour.
Temé a déjà repris le travail dans les champs.
Le concert des animaux est terminé.
Mais demain dès l'aube, il reprendra
et longtemps il en sera ainsi.
*Le pays Dogon est une région du Mali
13:15 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) |
Kodjo, le crabe bleu de la Volta
Pour Nassib Calvin Nader qui m'a inspiré cette histoire
Kodjo pleure sur les bords du grand fleuve Volta.
Il pleure parce qu’il est seul.
Les crabes rouges sont rassemblés un peu plus loin et ils jouent avec leurs pinces.
Kodjo est seul. Il est né bleu, bleu comme sa maman et son papa. Bleu au milieu des crabes rouges qui lui font bien sentir qu’il n’est pas comme eux, qu’il est différent :
« Il est tout bleu, Kodjo, chantent les crabes rouges, il est tout bleu et nous nous sommes rouges ! Kodjo n’est pas comme nous. Qu’il reste dans son coin ! »
Kodjo a perdu ses parents. Un jour qu’ils cherchaient leur nourriture dans le sable au bord de l’immense Volta, un pêcheur les capturés et fourrés dans un grand sac. Kodjo ne les a jamais revus…
Heureusement Kodjo a un ami, Kotoko le hérisson qui vit dans les buissons et se nourrit des insectes qui pullulent sur les rives du grand fleuve. Kotoko voit que Kodjo pleure et court lentement vers lui, lentement car le hérisson même s’il est pressé ne peut pas courir vite.
- Pourquoi pleures-tu Kodjo, mon petit crabe bleu que j’aime tant ?
- Je pleure parce que je suis tout seul, les crabes rouges ne veulent pas de moi. Ils disent que je ne suis pas rouge comme eux et que je dois rester isolé. Ils ne veulent pas me toucher de peur de devenir bleu…
- Ils t’ont dit cela ! s’exclame Kotoko.
- Oui et plusieurs fois !
Le sang de Kotoko ne fit qu’un tour. Il courut lentement jusqu’au groupe de crabes rouges et s’adressa au plus âgé d’entre eux sensé être le plus sage car il venait d’avoir sept ans…
- Pourquoi laissez-vous Kodjo tout seul, lui qui a perdu ses parents ?
- Il est bleu, il n’est pas comme nous. S’il nous touche, on a peur de devenir bleus !
- Mais qui vous a mis cela dans la tête ? Depuis quand un crabe peut-il déteindre sur un autre crabe ? Qui a vu cela de ses yeux parmi vous ?
- C’est Kwamé qui le raconte. Son père le lui a dit. Et son père le sait de son grand-père qui le sait de son père. C’est donc vrai !
- Et tu crois cela, toi Kossi qui es si intelligent et si raisonnable, dit Kotoko en éclatant de rire. Approche Kodjo, mon petit crabe bleu que j’aime tant, cria Kotoko.
Tout apeuré et tremblant, Kodjo s’approcha lentement des crabes rouges. Quand Kodjo fut au milieu des crabes rouges qui le regardaient avec mépris, Kotoko le hérisson prit la pince droite de Kodjo et la frotta contre la pince droite de Kossi. Les crabes rouges poussèrent un cri d’effroi.
- Kossi va devenir tout bleu, c’est terrible, criaient-ils en chœur.
Mais rien ne se passa.
Kodjo resta bleu et Kossi resta rouge.
Les crabes rouges étaient stupéfaits.
- Vous voyez, dit Kotoko, qu’il ne faut pas toujours croire ce qui vient de nos ancêtres. Parfois ils se trompent et si Kodjo est malheureux et seul c’est à cause d’eux…
Kossi comprit ce jour-là que la couleur n’est qu’une apparence et que sous leur carapace, tous les crabes ont le même cœur. Il se rapprocha de Kodjo, le serra très fort de ses deux pinces et lui dit :
- Désormais tu es des nôtres. Il n’y a plus de crabes rouges, bleus, verts ou jaunes… Nous sommes tous des crabes, il n’y a que cela qui compte.
Tous les crabes applaudirent et depuis ce jour, Kodjo n’est plus seul. Il vit au milieu de la grande famille des crabes de la Volta. Et il est heureux.
Kodjo, le crabe bleu de la Volta
13:13 Écrit par Jean Julien dans Aventures de Kotoko et autres | Lien permanent | Commentaires (0) |
22/11/2009
L'anniversaire de la Ventière
Paris le 30 octobre 1680
Ma toute bonne,
Ce fut hier soir une grande fête que la Ventière fils donna pour son 35ème anniversaire. Le marquis et la marquise la Ventière père ne purent se déplacer depuis leur château de Verneuil. Comme vous le savez la marquise Julienne n'aime plus les voyages et l'idée de rester immobile dans un carosse pendant des heures lui est insupportable. Il est vrai que Jean avait réuni toute la famille voici quelques jours au château de ses parents. Le vicomte Christian et son épouse Brigitte, née de Joliminois, leur fille la comtesse Anne et son époux le comte Mathieu de Jansen-Sarlan accompagnés de leur progéniture Hélène et Yves. La mère de Madame Brigitte était des leurs, la marquise de Joliminois.
Hier soir nous fûmes donc en l'hôtel particulier de Jean, l'hôtel d'Issoire, sis dans le sud de Paris sur la route qui conduit à Orléans. Savez-vous ma toute bonne que Jean m'a expliqué qu'il habite le long d'une voie que déjà les Romains empruntaient et que peut-être les mamouths, ces animaux de la préhistoire qui ont disparu de la surface de la terre, passaient aussi par là. C'est Monsieur du Portail qui le prétend, et vous savez comme moi qu'il est fort bien informé. Il était d'ailleurs de la fête.
L'assistance était fort belle. Nous avions chez la Ventière tout ce qui compte à Paris et même en province puisque les comtes d'Epernay, Marc et Patrick, avaient fait le déplacement depuis leur Champagne. Les comtesses de Colombes étaient de la fête, Odile et Nicole. Elles avaient pris leur plus bel attelage pour rallier Paris depuis leur château de la Colombine. Le marquis Laurent de Clichy et le prince Mamy d'Antananarena honorèrent eux aussi le salon de Jean. Laurent de Clichy et le prince Mamy (la douceur en langue malgache ce qui lui va comme un gant) ont connu la Ventière fils à Madagascar voici quelques lustres.
Le prince Bounkiet de Sengvienkham, issu d'une vieille lignée du Tonkin, de retour d'une ambassade en terre d'islam, est venu en compagnie du comte Christophe de Saint-Denis qui a choisi depuis peu de s'installer dans la bonne ville de Saint-Denis où dorment nos rois pour l'éternité.
Le comte Christophe de Rambuteau ayant été mandé par notre roi dans l'un des royaumes d'Allemagne, le prince Frylvera de Cotonou, son intime, le représenta. Rambuteau arriva cependant un peu sur le tard tout étourdi de sa course depuis Dusseldorf. Le jeune prince Frylvera n'a qu'un rêve : prendre les airs dans ces nouvelles machines volantes si effrayantes. Le marquis Bernard de Nantes, une vieille connaissance africaine de Jean, et le prince Christophe de l'Ile Bourbon arrivèrent de conserve à l'hôtel d'Issoire, familiers qu'ils sont des lieux depuis bien longtemps. Le prince Patrick de Mayotte et le comte Thomas de Billanges vinrent les derniers bien qu'ils fussent les plus proches voisins de la Ventière.
Enfin, et je garde le meilleur pour la fin, le comte Jean de la Ventière nous présenta officiellement le mystérieux prince qui depuis des mois habitait ses rêves. Je vous le dis ma toute bonne, l'attente en valait la peine. Le prince Dewenrel de la Volta Haute est entré dans le grand salon paré de ses plus beaux atours. A vrai dire, il n'en a guère besoin tant sa corpulence est magnifique. Sans parler de son visage où s'expriment tout mêlés l'intelligence, la vivacité et la noblesse. Le prince de la Haute Volta salua avec respect toutes ces dames, à vrai dire peu nombreuses, et tous ces messieurs, habitué qu'il est des cours de son Afrique natale où il a grandi.
Je sentais Jean ravi. L'adjectif est faible. Je devrais écrire enchanté. Nous ne savions plus trop, nous ses invités, si son anniversaire importait encore à Jean ou si son coeur et son esprit étaient entièrement dévoués au prince Dewenrel.
C'est alors qu'arriva le comte Frédéric du Bellay, le peintre fameux, si bien en cour depuis quelques années. Jean était heureux, entouré de ses amis les plus chers, pour certains comme le comte Frédéric proches de lui depuis plusieurs décennies.
La fête fut ravissante. Les mets et les boissons rivalisaient d'exotisme : du jus de bissap venu d'Afrique, du sirop de gingembre dont je me méfie car on dit qu'il décuple les ardeurs amoureuses et donne au sexe fort un membre dur comme la pierre (je ne saurais vous en dire plus car mon expérience en ce sujet est bien limitée). Nous goûtâmes des chinoiseries qu'à vrai dire je découvrai, raffinées et savoureuses comme les gens du Tonkin, et puis des viandes à la française et des vins de notre terroir.
La soirée filait bon train quand soudain un cri retentit :
Madame se meurt, Madame est morte !
J'avais déjà entendu Bossuet s'exclamer ainsi lors de son prêche pour la pauvre Madame Henriette morte dans l'éclat de son jeune âge. Mais à ma connaissance nulle princesse ne venait de passer de vie à trépas. Je l'aurais su.
Jean sortit alors du grand salon pour interroger ses valets. L'un d'eux était en larmes et n'osait annoncer au comte que sa chère chatte, appelée Madame et qu'il avait recueillie en Afrique, venait de rejoindre le ciel des animaux...
Nous fûmes tous rassurés et la fête reprit de plus belle. La Ventière aimait sa chatte (si je puis dire) mais il ne voulait point exprimer de contrition en une circonstance aussi heureuse.
Le gâteau vint lorsqu'une partie de l'assistance avait déjà oublié le motif de sa présence, occupée qu'elle était à deviser, grisée par les saveurs mélangées et les libations partagées. Certaines roucoulaient, certains se trémoussaient et s'essayaient à suivre le rythme de la viole de gambe, d'autres enfin parmi lesquels je figurais devisaient sans répit. Il fallait en profiter au milieu de si beaux esprits et de si jolis minois.
Je ne saurais vous conter la fin de la soirée car, pauvre de moi, je m'endormis sur un canapé repue que j'étais de si bonnes chairs et de tant de paroles.
Je me réveillais dans mon carosse à la porte de mon hôtel.
Je vous embrasse comme je vous aime de tout mon coeur.
17:43 Écrit par Jean Julien dans Lettres de la marquise de Sévigné | Lien permanent | Commentaires (0) |